Malik El Djebena (Tahar Rahim, extraordinaire) est jeune. Il a 19 ans. Il en prend pour six ans, à la Centrale. Il se retrouve dans une cellule avec des Corses, dont César Luciani, un terrible mafieux, qui le prend sous son aile. Le Corse, autoritaire, incarné par un magistral Niels Arelstrup, lui confie de plus en plus de mission.... Mais peu-à-peu le jeune Djebena s'émancipe, dans ce milieu ultra violent.
Le film possède une dimension sociale et politique évidente. Plus encore il est polémique. Petit frère en quelque sorte de La Haine, grand film coup de poing réalisé par Mathieu Kassovitz, Un Prophète ne décrit pas le parcours qui conduit à la prison mais le parcours qui mène à sa sortie, d'une manière biaisée puisque le jeune délinquant au contact des couloirs insalubres, des geôles humides et de compagnons de cellule ultra violents ressort plus criminel encore qu'il y est entré.
École du crime ou école du vice, la prison est dépeinte comme un lieu terrifiant, déshumanisant où règne la violence la plus abjecte et l'insalubrité la plus indigne. Le film est presque un documentaire et un plaidoyer contre l'incarcération. Il a d'ailleurs conduit à la réalisation d'un documentaire, Derrière les barreaux. La réalisation du film, quasi naturaliste, laisse toute sa part à l'horreur qu'évoque le lieu.
Nous suivons le destin d'un jeune delinquant qui va vivre non pas la mission salvatrice de la réinsertion sociale mais le purgatoire, cette antichambre de l'enfer où l'on commence déjà à se consumer. Au contact de son compagnon de cellule, un bandit corse incarné par un effrayant Niels Arelstrup qui va devenir son mentor du crime le jeune delinquant s'embarque dans un monde sans merci.
On trafique en prison, on tente de corrompre le personnel, un personnel souvent absent, réfugié dans des miradors, et en haut des murs. Il surveille mais laisse l'école du crime fermenter au milieu des couloirs rances et des douches noircies par la moisissure, une boite à pétri à taille humaine, où se développe les miasmes et la vermine. La prison a quelque chose du bagne ou du bunker, des couloirs où le béton suinte et où la caméra torve ne trouve que des fissures et la crasse pour accrocher son regard. C'est un vase clos, où seuls les plus tenaces s'en tireront et quand la prison ne vous rend pas plus voyou, elle vous brise.
On se passe des téléphones portables, des cigarettes et même des lames de rasoir. On s'observe, on se frappe, lâchement, on pleure, on souffre, on suffoque dans ces cellules minuscules où croupissent des âmes écorchées. Rien ne fonctionne dans une prison c'est le constat, terrible, de Jacques Audiard. Le film, si puissant dans sa critique sociale a fait l'unanimité au Festival de Cannes. Grand prix du jury, il n'a pourtant pas contribué à transformer nos prisons toujours aussi insalubres et inhumaines. L'unanimisme du constat se traduit par une impuissance, impuissance face au processus criminel qui s'ourdit dans la détention.
Car Audiard va plus loin. Le jeune Malik devient fou. Il voit des hallucinations, celle d'un ami imaginaire qu'il finit par égorger, il se berce de violence, sanginolente, et devient peu-à-peu l'homme qui s'émancipe du Corse pour servir ses propres intérêts. Il apprend le Corse au point de pouvoir tout comprendre des agissements de son mentor. Il infiltre tous les réseaux. Il se crée même le sien. Ils s'entourent des musulmans de la prison qui deviennent majoritaires. Les Corses perdent tout pouvoir, Luciani décline. Le mentor est battu par l'élève. Lorsqu'il sort de prison, Malik est devenu le roi de cette dernière, sorte de prophète inversé, guide spirituel des forçats et des criminels. Ce n'est pas l'autorité de l'Etat qui fait la loi en prison. La loi, le droit y sont des mots étrangers. On ne vainc ici le crime que par le crime.
Et Audiard est délicieusement ironique, comme s'll fallait ajouter à l'horreur des images poisseuses un cynisme sirupeux à la Orange Mécanique : c'est la victoire du crime, inscrite sur les lèvres du jeune Malik au volant de sa voiture, qui sourit, encore enfant, devant son invincibilité à la toute fin du film. Il est un homme ça y est. Il a vaincu la prison comme on triomphe de la mort. Sa vie commence ici.