Pas la perfection, mais presque la perfection.

Le cinéma c'est tout de même cool. Dans l'ensemble on s'y amuse plutôt bien, y a de jolies filles, de jolis mecs, des images plaisantes et de la musique gratuite. Puis de temps en temps y a un film qui donne l'impression d'être autre chose, d'être un peu plus, un film qui donne l'impression de viser un peu plus haut et qui retombe un peu plus haut. Un Prophète est de ceux-là.


Je n'ai pour l'instant vu de Jacques Audiard que son premier film : Regarde les hommes tomber. J'ai trouvé ça sympathique, pas dépourvu d'intérêt mais effroyablement filmé avec une image qui me donnait l'impression de regarder un bon film France 3. Restait son trio d'acteurs principaux (Yanne, Trintignant, Kassovitz) magnifiques qui sauvaient souvent le film du naufrage. Et en ayant désormais vu Un Prophète je peux dire deux choses : Audiard a beaucoup progressé entre temps et décidément, son cinéma est un cinéma d'acteurs.


Car Un Prophète brille d'abord par la qualité générale de l'interprétation. Il y a bien-sûr la révélation Tahar Rahim, éblouissant dans tout ce qui lui est donné à jouer, mais aussi Niels Arestrup qui m'apparaît de plus en plus comme le plus grand acteur du monde. Les seconds rôles sont tous au niveau, aidés il faut le dire par une écriture d'une impressionnante justesse.


Disons les choses clairement, je n'aime pas la façon de filmer d'Audiard. La caméra-épaule omniprésente me semble toujours un prétexte pour ne pas travailler ses cadres, les focales longues m'étouffent et la photographie du film est assez fade dans l'ensemble. Pourtant il y a une bonne idée de réalisation par scène environ. Pas de mise en scène, car il n'y a pas de mise en scène dans ce film, juste de la réalisation, juste un réalisateur probablement brillant qui bouge sa caméra selon ses acteurs, et certainement pas l'inverse. Je pense par exemple à cette scène de fusillade fulgurante mais exceptionnellement bien filmée et agrémentée de cette idée géniale de la surdité temporaire du personnage principal rendue à l'écran. Je me sens ainsi plutôt mal de critiquer visuellement ce film car le travail d'Audiard est objectivement irréprochable et il ne s'agit ici que de goûts personnels, d'approches du cinéma qui diffèrent.


Peu importe de toute façon car le cœur de ce film réside dans son écriture. Cela faisait très longtemps que je n'avais pas vu un scénario aussi dense et aussi maîtrisé. Les auteurs du film ont réussi à composer une fresque dans une prison. Ils ont réussi à faire se croiser un nombre impressionnant de personnages sans jamais sacrifier leur intérêt, leur profondeur et sans jamais n'être ni indigeste, ni incompréhensible. L'histoire monte en puissance, l’intelligence de la peinture de la trajectoire de cet homme est bluffante (je suis le seul qui y a vu une sorte de Breaking Bad français ?) et les dialogues sont rythmés comme la musique élégante et discrète de Desplat. La travail d'écriture abattu sur ce film est tout bonnement prodigieux d'autant qu'aucun manichéisme n'a de place et le politiquement correct est resté en dehors des murs de la prison.


Un Prophète est donc une sorte de petit miracle dans ce joli monde du cinéma. Il prouve qu'on peut encore faire des trucs décents en France pour peu qu'on laisse s'exprimer les gens de talent. Sa moisson de César en 2009 est amplement méritée et j'ai bien-sûr maintenant très envie de me plonger plus avant dans l'oeuvre de Jacques Audiard.

Ruru_
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le 2 avr. 2016

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