J'avais gardé un lointain mais merveilleux souvenir d'"Un revenant". Le revoir, aujourd'hui, avec plus de maturité me permet d'encore plus l'apprécier. Désormais, je le tiens pour un des meilleurs films français des années 40.
Ce film est un vrai plaisir de cinéphile. Il y a une vraie jubilation à revoir tous ces grand(e)s acteur(rice)s servir, avec talent, des personnages, taillé(e)s sur mesure. Pour autant ici, on ne cabotine pas, comme dans d'autres films de l'époque. Même si Louis Jouvet est le personnage central de l'histoire, toute la distribution à un personnage fort et /ou important, tous admirablement écrits et psychologiquement fouillés. Chaque "partitions" participent de concert à l'ensemble du "ballet" qui défile sous nos yeux, comme dans le "ballet" mis en scène par Jean-Jacques Sauvage (Louis Jouvet).
Toutes et tous, servent l'excellence du scénario et des dialogues, mouillés d'acides, d'Henri Jeanson, le vrai père du film, co-réadapté en compagnie de Christian-Jaque, le réalisateur du film, et Louis Chavance, le scénariste du "Corbeau" de Clouzot. La réussite tient surtout grâce à la mise en scène intelligente et aérée de Christian-Jaque qui met constamment en valeur le travail d'écriture de Jeanson, sans pour autant s'effacer derrière.
On retrouve le soucis esthétique du réalisateur à soigner le cadre et les images, à vouloir, dans les scènes extérieures, recréer l'atmosphère embrumée de Lyon, d'en saisir l'essence si particulière, que seul Bertrand Tavernier, de façon plus ample, saura saisir 30 ans plus tard dans "L'horloger de Saint Paul". La ville et l'esprit de "bourgeoisie" toute provinciale qui y préside, avec son cynisme et son hypocrisie caractérisée, formidablement restitués, sont des personnages à part entière, aussi centrales que le personnage de Louis Jouvet.
De plus, le réalisateur, nous épate vraiment dans une séquence à la limite de l'onirisme. Celle où Jean-Jacques (Louis Jouvet) confronte Jérôme Nisard (Jean Brochard) à ce qui s'est véritablement déroulé 20 ans plus tôt. Aucun personnages, juste quelques trucages, la voix des personnages et une caméra en mouvement pour signifier leurs déambulations. Puis les cadrages en plongée vers la scène lors de la première du ballet....
Mais revenons à l'histoire pour elle-même, noire à souhait. "Un revenant" c'est surtout un film de vengeance à la "Monte-Cristo". C'est la vengeance d'un homme, celle de Jean-Jacques Sauvage (Louis Jouvet), qui revient à Lyon après qu'on est tenté de l'éliminer 20 ans avant; devenu un grand metteur en scène et chorégraphe de ballet. Avec son Saint-Clair dans "La fin du jour" de Duvivier, Louis Jouvet tiens certainement un de ses plus grands rôles. Tel un "Deus ex-machina" il tisse sa toile subtilement et froidement, et met, ainsi, en route sa machination diabolique, sans que nous, spectateurs, n'ayons vraiment d'indices sur la finalité qu'il souhaite atteindre. Bien sûr on connaît son mobile dans la première demi-heure. Mais là où le scénario épate, c'est que ce n'est dans la dernière demi-heure, que tout commence véritablement à s'imbriquer dans notre tête. Tout est pensé pour nous tenir en haleine jusqu'à la dernière minute. Sauvage a perdu toutes ses illusions, et donc se sert cyniquement de cette perte pour en distiller autant au jeune François Nisard (François Périer, parfait en jeune et fougueux romantique ), en qui étonnement il se retrouve plus jeune, qu' à Geneviève Nisard-Gonin (Gaby Morlay, convainc vraiment dans une partition loin de ses personnages positifs habituels), son ancien amour.
Finalement, les associés Edmond Gonin, époux de Geneviève (Louis Seigner) et Jérôme Nisard, frère de Geneviève et père de François (Jean Brochard), sont les personnages archétypes - par moments jusqu'aux limites du grotesque volontaire - de cette bourgeoisie vaniteuse, imbue d'elle même, prisonnière des apparences sociales pour lesquelles ils paraissent vouloir tout sacrifier, sauf leur honneur et leur position de respectabilité. Pour autant, même si la dénonciation est claire, on s'aperçoit sur la fin, que la véritable dénonciation, sans spoiler, est l'attitude "passive " et "attentiste" des femmes (épouse ou amantes), voulu par les hommes et dans ce monde fait pour les hommes.
D'ailleurs, la tante Jeanne (jouissive Marguerite Moréno), avec ses éclairs de lucidité ironique balance à Geneviève:
- "de toute façon cela fait 20 ans que tu ne bouges pas!"
Certains verrons certains traits de misogynie dans le personnage de Jouvet et par là-même un regard misogyne de Jeanson sur les femmes. Bien au contraire. Il leurs demande, sûrement, le courage de s'émanciper, comme Jean-Jacques l'eu demandé. Et le personnage de Marguerite Moréno, c'est la pensée de Jeanson lui-même.
Pas de happy-end. Lors de la dernière scène, à la gare, on se dit que tout ça est un sacré gâchis, même pour Jean-Jacques, mais bon, il a déjà tout perdu 20 ans auparavant. On a pitié pour Geneviève. Le seul personnage qui s'en sort c'est François. Et c'est heureux; Il représente l'espoir.