Que ce soit par la lecture du roman auto-biographique de Joseph Joffo ou par sa très juste adaptation en 1975 par Jacques Doillon, on connait déjà presque tous l'histoire d'"Un sac de billes". Joseph et Maurice, deux jeunes enfants juifs, sont obligés sous l'occupation de la France par l'Allemagne nazie, de quitter Paris et leur famille pour tenter de passer en zone libre et éviter la déportation. Pourquoi faire un nouveau film racontant leur voyage, alors que celui de Doillon était très fidèle au récit dont il était l'adaptation?


Je me suis posé la même question, et n'étais de plus pas spécialement emballé par une bande annonce semblant promettre un film "bateau", déjà vu, revu cent fois, et grandiloquent... Fort heureusement, le hasard des horaires de séances au cinéma où je me rends en général, a fait coïncider la fin d'un autre film que je voulais absolument voir avec le début de celui-ci, et je me suis donc laissé tenter pour me faire mon avis. Et j'ai très vite été ravi de ce hasard heureux, car je ne me retrouvais pas devant un énième film sur l'occupation et les persécutions nazies, mais plutôt devant un récit initiatique. Celui racontant la sortie de l'enfance de ses jeunes et courageux héros.


Si Christian Duguay ne fait pas l'impasse sur le contexte historique en question, sur ses horreurs et ses profondes injustices, il ne tombe jamais dans le piège du misérabilisme et du mélodrame outré, et ne cède pas non plus à la tentation d'en faire une fresque trop épique. Il adopte au contraire avec beaucoup de justesse le point de vue de l'enfance. Une enfance encline à l'insouciance, qui a du mal à saisir toute la dimension terrifiante de ce à quoi elle va devoir tenter de survivre. Les enfants qu'il nous propose de suivre (interprétés avec bonheur par Dorian Le Clech et Batyste Fleurial, à l'évidence extrêmement bien dirigés) sont joueurs, espiègles, sensibles et donc très inquiets lorsque leur monde et leur quotidien sont amenés à changer radicalement, mais aussi enclins à oublier, ou du moins à mettre autant que possible de côté dans leurs têtes les aspects les plus effrayants et tristes de leur nouvelle vie, pour en apprécier toutes les petites joies, tous les petits plaisirs ceux qui permettent de continuer à vivre et espérer. Leur fraternité farouche est touchante et leur permet, tout comme dans le livre de Joseph Joffo, d'être forts ensemble et de toujours continuer à avancer.


Ce sont les yeux des adultes, et le regard de la caméra elle-même, qui font passer tout l'effroi généré par le traitement réservé non seulement aux Juifs mais aussi à la France elle-même, à son mode de vie, à ses valeurs, par la barbarie nazie. Et c'est par une grande simplicité de la mise en scène que cette vision est donnée au spectateur sans chercher à le choquer ou à l'émouvoir artificiellement par des effets exagérés, mais au contraire dans la justesse d'un constat, rien de plus et rien de moins.


Alors certes, le film n'est pas exempt de certains défauts et maladresses, comme par exemple un langage parfois un peu trop moderne chez les enfants qui nuit un petit peu à l'immersion dans l'époque représentée, et quelques plans un peu naïfs et clichés, mais ils sont assez peu nombreux pour mériter une certaine indulgence. D'autant plus qu'à part l'inexplicable contre-performance d'acteur de Bernard Campan, d'ordinaire très juste mais se fourvoyant ici dans un sur-jeu qui frise le ridicule, les acteurs sont tous bons, sincères, convaincants. Même un Kev Adams dont la présence au générique m'a plus qu'inquiété, s'en sort plus qu'honorablement avec un jeu tout en simplicité. Et Christian Clavier dont le cabotinage est souvent assez insupportable, assure ici avec une belle sobriété un rôle secondaire touchant. Quant-à Patrick Bruel, il est simplement parfait alors que la bande annonce laissait craindre une interprétation trop mélodramatique, et il montre de jolies nuances dans le rôle du père des deux enfants qu'il envoie la mort dans l'âme faire un voyage vers la vie dont il ne sait s'il pourra voir lui aussi la destination.


Au final, même s'il ne reprend pas toutes les étapes du poignant récit original de Joseph Joffo pour des raisons de rythme et de ton, "Un sac de billes" version 2017 en capture les éléments essentiels et l'esprit, une histoire qui dans un contexte glaçant raconte les souvenirs d'un petit garçon qui sort, contraint et forcé, de son enfance, en s'y raccrochant aussi longtemps que possible. On est ému, mais on rit aussi beaucoup, et on se souvient soi-même de l'innocence de son enfance et du petit morceau d'âme qu'on a l'impression d'avoir perdue quand on a dû grandir.

CharlesLasry
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le 23 janv. 2017

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Charles Lasry

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