J'avais déjà eu l'occasion de dire sur ce note tout le mal que je pense du livre de Grimbert (http://www.senscritique.com/livre/Un_secret/critique/26478119). Mais j’espérai sincèrement que son adaptation soit supérieure. D'abord parce que j'apprécie Claude Miller (même si la fin de sa carrière m'a apporté plus de déceptions). Ensuite, parce que le problème majeur du livre vient d'une absence de littérarité (en bref, on nous fait croire que c'est une œuvre littéraire, alors qu'il s'agit d'une psychothérapie très mal écrite). Mais peut-être que, sous la caméra de Miller, le texte deviendra un œuvre d'art.

Et le début m'a plutôt convaincu. D'abord, on voit apparaître une tache qui fait immédiatement penser à un test de Rorschach. Une manière pour Miller de rappeler que nous sommes ici dans le domaine de la psychanalyse. Tout ce qui va être raconté ici a pour but de libérer un homme d'un secret trop lourd à porter pour lui seul. L'impression sera renforcée à la fin, puisque la scène finale explique comment écrire le livre est devenu indispensable pour Grimbert. La première et la dernière image ramènent toutes les deux au projet initial du Secret. Et cela permet, au passage, de boucler le film sur lui-même. Bonne idée, dirais-je.
Ensuite, on voit un garçon, d'environ onze ans, petit, frêle, blême, maladif. Et sa mère, grande, belle, forte, rayonnante de santé. Une opposition qui sera sans cesse renforcée lors de la séquence d'ouverture. Par exemple : nous sommes au bord d'une piscine publique. Le garçon (François) tente gauchement d'entrer dans l'eau, par la petite échelle qui est située sur le côté ; mais il n'y arrive pas, il se fait asperger, il a peur, il se replie. A l'inverse, la mère (Tania) monte sur le grand plongeoir, tient un instant la pose, et saute avec force et grâce (deux qualités visiblement absentes chez son fils).
une mère qu'on devine ultra-protectrice envers son fils : dès qu'ils se déplacent ensemble, elle lui met la main sur l'épaule, comme une poule prenant ses poussins sous son aile.
L'opposition sera la même avec le père, Maxime, que l'on découvre, là aussi, alors qu'il est en pleine activité physique (il joue au tennis). Deux parents forts et beaux et un fils faible. Dans le regard du père, on voit d'emblée comme un reproche. C'est très bien foutu.
Puis, on change d'époque. On passe au présent, et on découvre un François devenu adulte, complètement différent, visiblement transformé, serein, sûr de lui (et, en plus, interprété par le formidable Matthieu Amalric, ce qui ne gâte rien). Un François devenu psychothérapeute et qui s'occupe d'enfants faibles et maladifs, les aide à pouvoir s'affirmer.

Hélas, les défauts apparaissent vite. En cinq minutes, on a fait le tour des qualités, et ce sera plutôt les erreurs qui apparaitront dans le reste du film. D'abord, les scènes au présent (avec François adulte) sont en noir et blanc. Volonté sympathique d'inverser les codes : le passé est en couleurs, le présent en N&B. Mais, au-delà du simple jeu, y-a-t-il un quelconque intérêt cinématographique à cela ? Si c'est le cas, je ne l'ai pas trouvé.
Plus grave, il y a, très vite, l'apparition de la voix off, celle d'un François adulte citant presque textuellement le livre de Grimbert. Déjà, ce n'est pas forcément un e bonne idée, vu l'absence de qualité de ce texte. Mais surtout, c'est généralement parfaitement inutile, puisque le texte ne fait que répéter ce que l'on voit en images. Démarche fort étrange de la part de Miller, comme s'il n'avait une confiance suffisante en sa cinématographie, puisqu'il la dédouble d'un texte lourdement explicatif.
Enfin, la réalisation perd de sa qualité progressivement. Le rythme ralentit excessivement (ce qui était à prévoir : le texte de Grimbert est très court). Le jeu temporel devient vite lassant : 1936, 1955, présent, les scènes s'enchaînent sans avoir toujours un grand intérêt. J'ai eu parfois l'impression que ces incessants aller-retours passé présent avaient pour rôle d'étoffer un peu le récit. Le problème, c'est que cela complique excessivement un récit pourtant très simple.
Et puis, il y a trop souvent une absence d'émotions. Ainsi, on voit bien que Miller cherche à rendre le personnage de Tania érotique. En choisissant Cécile de France, il marquait certes un point, mais ça ne suffisait pas. Sa caméra ne parvient pas à créer l'atmosphère de sensualité autour de le jeune femme, et Miller commet l'erreur de confondre nudité et érotisme.
De plus, la transformation d'Hannah qui, de mère parfaite, devient progressivement une Médée tragique, est très mal abordée. On n'y croit pas, on ne comprend pas comment elle se transforme comme ça, ni pourquoi. Et, sans transition, on la voit passer du sourire à la gueule d'enterrement.

L'interprétation est globalement sympathique, sauf pour les deux personnages principaux (Maxime : Patrick Bruel ; Tania : Cécile de France). J'ai particulièrement aimé Louise (Julie Depardieu).
On sent le film qui aurait pu être réussi, mais qui réunit une succession de maladresses. C'est supérieur au livre, mais ce n'est pas encore ça.
SanFelice
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes La Seconde Guerre Mondiale, marché lucratif et En 2014, il y a aussi quelques drames

Créée

le 23 mars 2014

Critique lue 2.3K fois

31 j'aime

6 commentaires

SanFelice

Écrit par

Critique lue 2.3K fois

31
6

D'autres avis sur Un secret

Un secret
Andika
7

Un Secret: un drame psychologique

Un Secret de Claude Miller est un sacré film. Un drame psychologique sur fond de seconde guerre mondiale mais aussi, l'histoire d'un terrible secret de famille, connu de tous sauf du narrateur et qui...

le 26 sept. 2016

6 j'aime

2

Un secret
EricDebarnot
5

La mémoire et l'oubli

A partir d'un sujet aussi magnifique qu'essentiel à notre époque amnésique - la nécessité de la mémoire et les effets (ici psychanalytiques plus que politiques) dévastateurs de l'oubli volontaire -,...

le 11 janv. 2019

5 j'aime

2

Un secret
Maqroll
8

Critique de Un secret par Maqroll

Claude Miller a toujours été un cinéaste intimiste et soucieux de traquer les ressorts humains. Dans cette réalisation des années 2000, il continue son chemin parsemé souvent d’adaptations de (bons)...

le 29 janv. 2014

5 j'aime

2

Du même critique

Starship Troopers
SanFelice
7

La mère de toutes les guerres

Quand on voit ce film de nos jours, après le 11 septembre et après les mensonges justifiant l'intervention en Irak, on se dit que Verhoeven a très bien cerné l'idéologie américaine. L'histoire n'a...

le 8 nov. 2012

257 j'aime

50

Gravity
SanFelice
5

L'ultime front tiède

Au moment de noter Gravity, me voilà bien embêté. Il y a dans ce film de fort bons aspects, mais aussi de forts mauvais. Pour faire simple, autant le début est très beau, autant la fin est ridicule...

le 2 janv. 2014

221 j'aime

20

La Ferme des animaux
SanFelice
8

"Certains sont plus égaux que d'autres"

La Ferme des Animaux, tout le monde le sait, est un texte politique. Une attaque en règle contre l'URSS stalinienne. Et s'il y avait besoin d'une preuve de son efficacité, le manuscrit ne trouvera...

le 29 janv. 2014

220 j'aime

12