Un polar français des années 50, sec et brutal, avec Lino Ventura à ses débuts (ou presque, en tous cas, ses traits étant sensiblement moins affirmés que ceux du Lino qu'on connait bien, typé lutteur), plongé dans la nuit parisienne au creux d'un film noir, et réalisé par... Édouard Molinaro. Il faudra donc ajouter aux images de Louis de Funès cabotin et d'autres comédies des années 80 faisant intervenir Gérard Jugnot, celles beaucoup moins connues d'un Lino Ventura massif et déterminé, envers et contre tout, à accomplir sa vengeance. La dissonance cognitive n'est pas loin, avec ces différentes branches d'une même filmographie. Molinaro, ce petit cachotier.
Atmosphère jazzy évoquant très légèrement la Nouvelle Vague (le saxophoniste français Barney Wilen, auteur de la musique du film, avait d'ailleurs travaillé avec Miles Davis l'année précédente sur celle de Ascenseur pour l'échafaud), pessimisme absolue de l'action dans la droite lignée du film noir, sécheresse de la narration chevillée au corps : Un témoin dans la ville détonne incroyablement dans le paysage du polar français. Il serait éventuellement à ranger dans la case des exercices de style, tant le film se résume à une ronde nocturne après avoir commencé sans ambage par un assassinat à bord d'un train (qui pourrait tout aussi bien constituer une scène de fin dans beaucoup d'autres films). Molinaro, une fois passée l'exposition de la problématique au gré d'une préparation de vengeance au cordeau, collera aux basques de Ventura jusqu'à la fin dans un dédale aux quatre coins de Paris, comme une plongée semi-documentaire et quasiment en temps réel renvoyant son souci de réalisme de manière assez évidente. Ventura, parfaitement à l'aise dans le registre de l'homme traqué toujours hésitant avant de passer à l'acte, évolue dans la faune d'un autre temps, peuplée d'opératrice téléphoniques, de chauffeurs de taxi à l'ancienne qui se regroupent régulièrement pour une clope et un café, d'officier de police aux vieux uniformes, et de prostituées au fort accent. Aussi sec que fluide, le minimalisme de mise à tous les niveaux irrigue très bien la quête de vengeance qui vire à l'obsession meurtrière sans jamais faire du protagoniste un tueur archétypal. On se situe bien au-delà du mari trompé et du tueur obstiné, Ventura composant un personnage pétri d'incertitude et de maladresse.
C'est d'ailleurs une particularité du film : les personnages ne sont pas vraiment approfondis dans leur psychologie ou leurs états d'âme et ne laissent presque rien percer à travers leur carapace. Le protagoniste est simplement prisonnier d'un engrenage, dénué de tout contexte, et n'est défini ici que par son mouvement, poursuite frénétique d'abord puis fuite désespérée ensuite. La question morale à l'encontre de ses actes ne se posera jamais réellement, comme si on était happé par le flot de sa cavale sans avoir le temps de s'y appesantir. Il ressort de ces décors imprégnés d'onirisme une violence froide, enveloppant la solitude de cet homme seul face au monde, convergeant presque inexorablement vers cette séquence finale d'une noirceur infinie.
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