Forces at work


Under the silver lake contient à peu près tout ce que j’attends d’un film : un regard critique sur notre époque, un instantané de l’air du temps. Un protagoniste irresponsable et plus qu’imparfait. Une imagerie du rêve, de la confusion, pop, pulp. Un film original et somptueux visuellement, idiosyncratique sans jamais nous perdre et embrassant ses influences. Un film à la fois incroyablement solide mais aussi extrêmement libre dans la structure de son scénario. Ne se prenant jamais trop au sérieux. Jouant un maximum avec les possibilités qu’offrent le medium du cinéma ; Mouvements de caméra furtifs, lumière surréaliste, Matte paintings improbables, fondus enchainés soulignant ses inspiration « retro » et contrastant avec la modernité de l’ensemble.
Une bande originale orchestrale, épique, pleine de suspense et de frisson, mélangeant ici musique pop mainstream américaine et orchestre classique hollywoodien à la Bernard Hermann. Sans parler de la performance d’Andrew Garfield, looser habité, voyeur et sale qui reste pourtant réellement attachant. Bref ce film est un film pour moi, un film rêvé.


Si je devais expliquer ce film à quelqu’un ou lui raconter son histoire, j’éprouverais énormément de difficultés. Car le film me dépasse. Nous ne sommes pas en contrôle de ce que nous voyons ou retenons. Nous ne pouvons pas tout comprendre. A l’image de Sam, perdu dans la cité des anges et manipulé par des forces mystérieuses (dont le sexe, les filles, les soirées, les rencontres étranges et éthérées, la magie d’Hollywood et la flamboyance californienne…). On vit un rêve éveillé. Constamment titillés par le fourmillement de symboles, de fausses pistes, d’histoires parallèles, de visions oniriques. Tout est sujet à interprétation. Et pour faire taire cette angoisse,cette frustration, la recherche d’un sens palie au peu d’affection et d’assurance. On est aspiré.


Ce film c’est L’anti LA LA LAND. Là ou en 2016 un Damien Chazelle nous promettais de croire en nos rêves, croire en « making it in LA ». Devenir une star, actrice ou musicien, était accessible avec assez d’amour et de passion pour le vieil Hollywood et sa philosophie de l’ambition triomphante. On nous proposait un film ponctué de références aux classiques de la comédie musicale. Ici, c’est tout l’inverse. Les références sont un bruit de fond, polluant et aliénant. Elles sont plus une mémoire artificielle qu’un hommage appuyé. Allant d'objets de consommation à un groupe glam rock relativement insipide et pour ados.
Ce Los Angeles est truffé de putois, les actrices n’ont que quelque petits rôles et sont castées dans des garages douteux. Elles deviennent Escort girl au pire, égérie pour une marque de lentilles de contact au mieux (Le réalisateur nous crie dessus : OUVREZ LES YEUX !!!) et notre petit Sam fais croire à tout le monde qu’il a un travail alors qu’il passe son temps à se branler et s’intéresser a des choses futiles. Il crie sur les clodos qui le harcèle, les traites de « poltergeist hérants à la périphérie ». Traine avec son pote adepte de soirées chic qui pourtant assure qu’il continue à « bosser », visiblement constamment drogué. Les gens prennent des chiens pour avoir un peu « d’affection inconditionnelle » car tout le monde à LA est refermé sur lui-même, dans une fête narcissique et colorée. On entendra même un producteur vanter les mérites d'une réalisatrice de 12ans. Et les top modèles qu’on voudrais mater aux fenêtres, au lieu de se dessaper de manière sexy en rentrant chez elles, se mettront en fait à chialer, pitoyables.
Le rêve s’effondre…


Exploring where the cameras cannot see
You and I
Underneath the surface where the lovers cannot breathe...

– Turning Teeth – Jesus, and the brides of Dracula


Pourtant on reste à LA, on y reste parce qu’on sent que des choses nous passent sous le nez, qu’il y a quelque chose à comprendre, à interpréter. Au-delà des apparences. Au dela du constant flux d’images télévisuelles, publicitaires ou extraits de films . Alors on cherche un sens, tout en s’excluant de l’équation. Tout en ne se rendant pas compte qu’on pue la merde et qu’on vrille taré. On s'oublie. On cherche à kiffer le moment, trouver le plaisir ou il y en a. A garder espoir ? Hollywood, finalement, envoute, séduit, hypnotise.


La vision De David Robert Mitchell est ambitieuse, totalement immersive et elle a foi dans le cinéma et en son pouvoir de rendre mystérieux la vie. Elle est aussi je pense, très personnelle et certainement un peu autobiographique sur la désillusion hollywoodienne, le réalisateur allant même jusqu’a référencer son tout premier film « American Sleepover » en en faisant revenir les acteurs. S’admirants dans leur propre film et dont l’actrice « nommée meilleure espoir dans un second rôle l’année dernière aux oscars» , comme dit plus haut, du finalement se reconvertir en escort girl pour pouvoir continuer à payer son loyer...

Ce puzzle d’intrigue qui dynamite tous nos repères, jeu de piste troublant invoquant symboles, codes et légendes urbaines finis réellement par nous happer, malgré son absurdité et son inconsistance. On se met à croire. Croire que quelqu’un tire les ficelles, nous manipule pour des intérêts qui nous dépassent. Quelqu’un qui sait écrire ses hymnes pop et catchy sur lesquelles on ne peu s’empêcher de taper du pied et qui y cache un sens profond?


On pourra toujours s’amuser à citer les ressemblances de ce film avec d’autres. Allant de David Lynch à Richard Kelly , puis au cinéma de stoner de Gregg Araki, lui même influencé par Brest Eston Ellis. En passant par le Inherent Vice de Paul Thomas Anderson ou le Phantom of the Paradise de De Palma.
On pourra aussi parler de « film meta » avec les nombreux extraits de film, affiches et références qu’il contient.


Mais ce film dépasse pour moi de très loin l’exercice de style et l’essai de cinéphile avec un propos fort, critique et couillu, un rythme étrange et une générosité toujours renouvelée dans ses séquences. J’ai l’écureuil du début en tête, la séquence sur le compositeur pop, la soirée au « purgatoire ». La maitrise et la liberté sont telle que l’on sait qu’il va falloir re-visionner, deux à trois fois l’objet pour en saisir toute la substance, tous les signes et parallèles qui reviennent. Mêmes inconscients. Comme cette obsession pour une actrice. Comme la couverture du playboy dans la fabuleuse séquence du Lac. L’histoire de la chouette et du billet d’un dollar. Ces symboles sur les cartons au début et qui sont ensuite présents sur les t shirt des personnages. Le tueur de chien. Les messages subliminaux cachés dans l’affiche (notamment un « Sex » dans les cheveux de la fille, rappelant le très connu message subliminal dans le Roi Lion). Et ce putain de perroquet… MAIS QU’ EST-CE QU IL DIT ??!!


Bref, David Robert Mitchell dont j’avais déjà énormément apprécié le It Follows pour sa réappropriation du sous-genre « teen horror » et son discours ambigu sur le sexe, signe un film qui à mon humble avis va faire date. Il cristallise la jeunesse, cette vacuité et ses envies factices de célébrité tout en imposant une vision ultra originale et inattendue dans un film casse gueule sur le papier et qui frôle énormément de fois le danger de pousser le trait de l’absurde et de s’effondrer dans ses réponses aux questions, qui pourraient êtres trop peu crédibles et très décevantes. Mais non ! l’ambiance est là et on reste scotché, transporté, tiré dans tous les sens, planant au dessus de Los Angeles sans jamais vraiment savoir ce qu’il se cache sous la surface de Silver Lake…

LucasMonjo
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le 18 août 2018

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