Profitant de la politique de renouvellement menée dans la sélection cette année, le malin David Robert Mitchell s’est offert pour son troisième long-métrage une heureuse place en compétition officielle du Festival de Cannes. Après le sympathique et très calibré It Follows, le cinéaste délivre cette fois un délire en roue-libre de 2h20 entre film noir à la Chandler, pop culture sous LSD (ralentie avec un maximum de weed), et déambulation dans un Los Angeles habité par des fantômes de cinéma. Évidemment, dans un magma aussi inégal, mais en cela intéressant, le truc ne pouvait recevoir lors de sa projection officielle qu’un accueil glacial. Retour sur une semi-déception attachante.
Pour sa traditionnelle conférence de presse, l’équipe d’Under the Silver Lake aura eu droit à un consternant numéro de questions sans fond sur le mode « On n’a pas compris, vous pouvez expliquer » opposées au mutisme un peu snob du metteur en scène. Tout cela donne lieu à un spectacle assez ennuyeux de 35 minutes, mais dans lequel on peut trouver une jolie et éclairante déclaration d’un des producteurs, Jack Weiner : « I finally understand Los Angeles after seeing this movie », « Après avoir vu ce film j’ai enfin compris Los Angeles ». C’est peut-être cette belle et éternelle ambition qui se cache derrière toutes les circonvolutions un poil fatigantes qui composent le dernier travail de David Robert Mitchell. Ambition effectivement éternelle puisqu’en la matière le cinéaste se place dans un héritage plus que lourd à porter entre Sunset Boulevard (Billy Wilder, 1950) et Mulholland Drive (David Lynch, 2001) sans compter les innombrables films noirs s’y déroulant. Le réalisateur ne manque pas de rappeler cet héritage et d’y faire référence plus ou moins explicitement tout au long du récit. Malgré cela, il serait à mon avis trop facile de le lui reprocher, comme ont pu le faire certains sur la Croisette, comme une preuve de prétention. Au contraire, sa manière plutôt naïve de ponctuer son bébé de références, en les appuyant parfois grossièrement – par exemple quand il fait bêtement apparaître la tombe d’Alfred Hitchcock – démontre plutôt qu’il y a quelque chose de beaucoup plus bon enfant que ça, une forme d’impossibilité à faire totalement récit sans ses maîtres. Le cinéaste rejoint là le reste de ses confrères de la même génération dont l’une des tares les plus visibles est de ne pas parvenir à faire œuvre sans continuellement regarder en arrière. Cependant, David Robert Mitchell a le mérite de l’assumer avec une sorte d’admiration de cinéphile adolescent dans le regard qui n’est pas sans émotion.
Certes, il y a sans doute quelques hommages qui n’évitent pas la complaisance snobinarde, mais tout cela se fait avec une bonne humeur communicative. DRM traite toutes ses références – des plus nobles au plus triviales – toujours le plus directement, le plus explicitement possible. Même quand il s’agit de (lourdement) rappeler Andrew Garfield à son passé de Spider-Man – en lui collant un comics de Stan Lee avec du chewing-gum sur la main – le cinéaste ne s’embarrasse pas de quelconques dissimulations (même s’il prétend que cette référence à Spiderman était présente avant qu’il ne pense à ce comédien pour jouer le rôle…) Pour ce qui est de ce rappel, il est d’ailleurs d’autant plus chouette que David Robert Mitchell semble préférer la trilogie de Sam Raimi ! Je dis ça notamment parce qu’il rappelle pour un petit rôle l’épique Venom du grandiose Spider-Man 3 (Sam Raimi, 2007), Topher Grace. Bon ok, je me raconte ce que je veux, mais il me semble que le cinéma de DRM est à rapprocher de celui de Raimi, même s’il n’a pas la même force, dans sa dimension cool et bon enfant.
Revenons donc à ce pauvre Andrew Garfield qui vit une existence paisible et enfumée dans sa résidence pleine de putois et de jolies filles. Il y rencontre Riley Keough, dont il tombe amoureux, mais alors qu’il s’apprête à conclure, celle-ci disparaît mystérieusement (beaucoup trop tôt, on ne voit jamais assez Riley Keough sur un écran de cinéma). Celui-ci se lance donc dans une enquête paranoïaque, où on ne sait jamais si ce sont les substances qui le font sombrer ou la folie de tout ce qui l’entoure, même si la langueur du rythme du film nous permet de répondre tout seul… Film noir d’enquête sous substance donc, Under the Silver Lake voit son personnage déambuler dans la ville et ses fantômes de cinéma, comme s’il était impossible de se retrouver dans Los Angeles sans être un poil cinéphile. D’ailleurs, il est sans doute impossible de se retrouver dans le film non plus sans cette qualité, ce qui est sans doute sa limite incontestablement, malgré tout son côté bon enfant. L’autre limite du long-métrage est qu’il est, à mon avis, inégalement incarné. Comme son personnage principal, David Robert Mitchell déambule, cherche, parfois trouve et à d’autres moments se plante.
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