Attention spoilers... Ou une version surréaliste des spoilers
Si Under The Silver Lake peut être vu comme un patchwork d'influences bien digérées, une se démarque particulièrement. Nous sommes ici quasiment dans un remake de Mulholland Drive. Les deux scénarios se rapprochent dangereusement : suite à une séparation (ici avec la brune de la pub "I see clearly now"), un artiste revient sur son parcours à Hollywood, pour réaliser que le rêve qui lui avait été promis est définitivement hors d'atteinte.
Lynch proposait cette introspection littéralement sous forme de rêve, tandis que Mitchell fera de son voyage un trip halluciné mais bien éveillé, malgré la vision de Sam brouillée par ces joints hors champ.
La caméra épouse entièrement le point de vue du personnage principal. La pop culture est partout, et a toujours une visée éducative pour le personnage : les affiches sur les murs, la télévision, ou même certains procédés de mise en scène maniant la citation avec pertinence donnent des indices sur l'environnement et l'état du garçon. Mais elle se voit principalement dans les décors et la photographie, dont la lumière factice sur ces piscines brillantes rappellent la solitude des rêves brisés de David Hockney. Chez Mitchell comme chez Lynch, c'est la connaissance de l'envers du décor qui fait sombrer les personnages dans une lucidité dont ils refuseront de prendre conscience, et qui refera surface dans leur inconscient.
Ainsi, le personnage de Sam se rappelle chaque déception qui a fait suite à un espoir de devenir un jour une star immortelle. Tu ne baiseras jamais ton premier fantasme ? Les chansons qui t'ont fait grandir ont joué le jeu du capitalisme ? La religion ne t'apporte aucun confort ? Il trouvera un semblant de répit dans la tentative de donner du sens à ce monde. Car là est toute la psychologie du personnage : à force de voir le monde à travers le prisme de l'art, Sam ne comprend plus que le monde ne puisse pas avoir de sens caché.
Pas de sens caché, contrairement à ce film donc. Chaque élément peut être interprété comme faisant partie de l'oeuvre épousant le point de vue de Sam, ou comme une manifestation de la réalité du personnage, autrement invisible ici. Par exemple, le personnage de Sarah peut être perçue de deux manières suivant ce concept : on a d'abord Sarah l'objet de la quête surréaliste du film, illusion créée de toute pièce par Sam, et ensuite Sarah, l'objet de la quête réelle, soit l'envie pour Sam de devenir ce que la pop culture nous présente comme des stars immortelles.
Le chien de Sarah s'appelle d'ailleurs Coca-Cola, nom devenu avec le temps synonyme de capitalisme à l'américaine. Sam fait face à un paradoxe : pour devenir une star (et donc symboliquement trouver en Sarah, alias le rêve américain, son maître), il doit accepter de voir l'envers du décor représenté ici par un capitalisme perfide, ce qui bien sûr casse pour toujours le fantasme hollywoodien. Le Silver Lake peut d'ailleurs faire écho au Silver Screen, la dénomination la plus grandiose de l'écran de cinéma dans ce qu'il a de plus noble. Devoir passer en dessous devient alors lourd de sens : devenir une star en passant de l'autre côté de l'écran, c'est risquer la noyade.
Face à cette situation tragique, c'est bien la désillusion de Sam qui prend le relais. Il refusera d'accepter l'envers du décor, et le remplacera par tout ce qui peut avoir ne serait-ce qu'un minimum de logique et de sens.
Mais Under the Silver Lake n'atteint pas les abysses de noirceur de Mulholland Drive. Bien que l'idée du suicide de Sam soit suggérée, la fin du film se fait optimiste : il existe un langage indicible (dans le film, les deux carrés, demandant à celui qui les voit de garder le silence), celui de l'art, et si percer à jour ses intentions est une tâche impossible, le cri incompréhensible (celui du perroquet) pourrait bien être plus beau que la découverte du sens. Ce film, par ses scènes surréalistes et son ton décalé parfaitement géré, en est le meilleur exemple.