Peut-on dépasser les mythes du 20ème siècle et se construire les nôtres ? Sommes-nous face à une impasse créative écrasés par nos pères ? C’est vraisemblablement l’une des questions que pose « Under the silver lake », un véritable bonbon récréatif qui, sous couvert d’un univers volontairement pop, dépeint le parcours d’un jeune adulte dépressif.
Sam est un trentenaire passif. Il passe ses journées à épier à la jumelle sa voisine hippie, probablement ex militante anti Vietnam / équivalent soixante-huitarde sur notre continent et son perroquet bavard. De temps en temps il se rend dans le book store du coin pour lire des prospectus de bd dont il rêve de rencontrer l’auteur. Il n’a pas de travail, ne paye pas son loyer et demeure dans une sorte d’inertie naturelle et lointaine incapable d’entrer dans une époque qui ne lui offre aucun repère. Sam vit dans un passé qui n’est pas le sien mais auquel il tente de se rattacher sans en connaître les véritables codes. En témoigne le poster de Kurt Cobain qui trône au dessus de son lit… signé par la fille de ce dernier ou encore ce magazine aux couleurs eighties, seul support valable pour se masturber.
L’apparition de sa voisine Sarah dans la piscine de son lotissement, telle la Maryline espiègle dans « Certain l’aime chaud », lui laisse croire qu’il a trouvé Sa rencontre de cinéma. Sa disparition instantanée le lendemain d’un flirt inabouti le pousse à mener une enquête en quête de sens.
Cette recherche l’amène à rencontrer différents personnages tout droit sortis d'Hollywood boulevard. De jeunes escorts de 20 ans qui semblent déjà avoir fait une croix sur une carrière d’actrices et qui, sur la base de ce constat aussi glacial que cynique, croque une vie qu’elles n’envisagent que comme une succession d’instants. Un jeune chanteur en tête des charts mais dont les principaux tubes ont été écrits par une plume du passé, directement sortie des 70ies/80ies/90ies. Un Bdéiste fétichiste qui a modelé les masques de célébrités iconiques pour en faire ses interlocuteurs du quotidien.
A travers Sam, David Robert Mitchell dresse le portrait d’une génération mélancolico cynique écrasée sous le poids d’un passé trop subversif qui l’empêche d’imposer sa marque. Qui peut succéder à Alfred Hitchcock semble nous demander le réalisateur en nous amenant sur sa tombe ? Peut-on composer de nouvelles mélodies sans plagier celles du passé ? Peut-on être un artiste sans être voyeuriste ?
Le réalisateur nous laissera trouver nos propres réponses. Certains, telle Sarah, choisiront de fuir le monde contemporain en s’emmurant volontairement dans un Eden artificiel et figé. Ce tombeau choisi serait une métaphore d’un monde tel qu’ils le rêvent. Ou, comme le dit Sarah à Sam, qu’ils espèrent avoir rêvé car aucun retour ne semble possible. D’autres, tel le bdeiste, pressentant la fin de la civilisation, faute de création, prépare leur sortie et face, à cette apocalypse qui ne vient pas, accélère leur départ. D’autres encore choisissent de regarder leur société de loin, à l’aide de drones qui explorent le monde où ils ne vivent plus vraiment.
Sam lui finira par se confronter aux fantômes du passé et découvrira une manière de s’en accommoder sans doute. Plutôt que de se désoler de ne pas faire parti d’un passé qu’il envie sans l’avoir connu, il cherche à s’y rattacher, à se l’approprier en y introduisant de nouveaux codes. La mélancolie se soignera désormais avec du jus d’orange et des crackers, substituts à la traditionnelle combinaison lait et biscuits. Il regardera les vieux films que sa mère considère comme des master pièce via un magnétoscope et ne succombera donc pas aux séries Amazon et Netflix. Au-delà, Sam décide de prendre l’ascendant sur une génération qui l’écrase, soit par la force lors d’une scène merveilleusement burlesque où Sam affronte un vieux compositeur fou à l’aide d’une guitare électrique, soit par le sexe, en batifolant avec sa voisine hippie.
A leur contact, Sam découvrira les limites d’un passé que l’on imagine souvent beaucoup plus passionnant qu’il ne l’a été pour ceux qui l’ont traversé. Seuls les mythes, tel James Dean, mort à 25 ans, peuvent se targuer d’un destin inégalé, mais ils ne sont plus là pour en témoigner. Les autres sont eux aussi des spectateurs du quotidien, telle cette voisine pour laquelle les propos du perroquet n’ont pas beaucoup plus de sens qu’ils n’en ont pour Sam.
Le présent n’est finalement qu’un nouveau passé au sein duquel il est possible d’imprimer sa marque sans nécessairement renoncer à toute nostalgie, mais en acceptant d’être acteur plus que spectateur.
Sam le comprend peut être dans cette scène finale où il regarde son ancien moi apathique à travers une jumelle. Cet homme a disparu. Il en construit un autre… ou pas. Coupé.