David Robert Mitchell m’avait fortement impressionné en 2015 avec It Follows. Ce film fut l’un des rares que je vis deux fois en salle.
J’attendais donc avec une certaine fébrilité le successeur de It Follows. On me l’avait présenté comme suit : « un polar délirant », « un hommage à la pop culture américaine ». « Un film d’une grande beauté esthétique », mais « avec quelques longueurs ». Paradoxalement, j’entrai avec méfiance dans la salle.
- SPOILERS DANS LA SUITE DU TEXTE
Effectivement, on est saisi dès les premiers plans par l’aspect très léché de l’image. On rencontre Sam (personnage campé par Andrew Garfield) dès cette première scène, faisant la queue dans un coffee shop de Los Angeles. Filmée au ralenti, la scène le montre rêvassant devant la beauté des deux serveuses présentes ce jour là. Pendant ce temps, une autre employée est occupée à effacer un graffiti sur la vitrine de la boutique : BEWARE OF THE DOG KILLER. L’atmosphère d’étrangeté qui persistera tout le long du film s’installe donc dès les premières secondes du récit.
Je ne m’attarderai pas dans cette critique sur le déroulé du scenario, que l’on peut résumer ainsi : Sam rencontre une jeune femme (prénommée Sarah) qu’il avait vue se baignant dans la piscine de sa résidence en compagnie de son chien Cola. Celle-ci disparaît mystérieusement au lendemain d’une soirée qu’il a passé avec elle. Seulement entre temps, Sam est tombé amoureux de Sarah, belle blonde qui semble vouer un culte au film How To Marry A Millionaire. Le personnage principal, désoeuvré mais curieux, n’aura dès lors qu’une obsession : retrouver celle qu’il a fugacement aimé, qui lui a fait si forte impression.
Dans sa quête, il rencontre des personnages tous plus loufoques les uns que les autres. Un dessinateur de comic strips paranoïaque, des actrices désespérées, une rockstar, le roi des clochards… Le ton du film oscille entre polar, comédie et satire sociale, reprenant certains codes du film noir hollywoodien. Les différents rebondissement s’enchaînent pendant plus de deux heures, entraînant le spectateur à travers Los Angeles et ses décors mythiques.
Le mythe, il en est beaucoup question dans ce film à l’apparence légère (ou lourde, pour ceux que la superposition de références et d’une photographie ultra-esthétisée agace). Mais lorsqu'il rend hommage au cinéma et à la pop culture, le réalisateur de Under The Silver Lake ne le fait pas avec la même confiance en soi que Spielberg dans Ready Player One. Il se montre davantage intimidé par les monstres cinématographiques du passé. À travers son personnage, David Robert Mitchell témoigne de l’angoisse de faire des films à Hollywood en 2018, bien après Hitchcock, Ray et les autres. Succéder à ces figures mythiques du cinéma américain n’est pas chose facile. Comment ne pas avoir la sensation de marcher dans les pas des réalisateurs historiques d’Hollywood? Comment tracer son propre sillon? Les fantômes du cinéma d’hier hantent la cité des anges pour toujours. Leurs films à jamais statufiés représentent à la fois un idéal et une limite. Il en va de même pour les acteurs. L’amie de Sam paraît enchainer des auditions pour des rôles stéréotypés, concurrencée par une myriade d’autres jeunes femmes toutes aussi désireuses de mettre un pied dans le monde du cinéma. Certaines d’entre elles sont actrices le jour, escorts la nuit.
L’angoisse est présente tout au long de Under The Silver Lake. Les angoisses liées au cinéma comme je l’ai dit, mais aussi certaines angoisses plus universelles. Sam est constamment rattrapé par le manque d’argent. Il ne peut plus payer son loyer, les traites de sa voiture, il n’a même pas une pièce à donner à un clochard qui finit par le traiter de radin devant la femme qu’il essaie de séduire. La sexualité est elle aussi source d’angoisse. La vie moderne, de manière plus générale, est source d’angoisse. La scène où l’ami de Sam utilise un drone qu’il a acheté sur Amazon (là où l’on trouve TOUT), pour espionner une belle femme par la fenêtre est particulièrement parlante. L’angoisse éprouvée par Sam atteint son paroxysme lorsqu’il découvre que toutes les icônes de sa jeunesse, qu’il s’était intimement appropriées, ne sont que des objets calibrés pour les masses et créés dans l’unique but de générer des profits maximums pour une poignée d’élus. La pop culture, d’après le personnage joué par Jeremy Bobb, n’est que le refuge des artistes ratés, ceux qui n’ont pas pu atteindre le génie et l’éternité.
Derrière toute cette angoisse on sent toutefois poindre un manifeste pour un cinéma renouvelé et "vivant". Dans Under The Silver Lake, on entend presque les battements de coeur de David Robert Mitchell. Son film fait écho à la Nouvelle Vague, se jouant des conventions, détournant certains clichés du cinéma à l'ancienne. Le réalisateur n'est certainement pas à l'abri de la faute de goût, mais c'est le prix à payer pour certaines fulgurances. Le film comme matière vivante, le cinéma "mort" figé dans son mausolée. Tout cela est très clairement résumé dans la scène de la projection de cinéma en plein air au cimetière, et dans le rite de l'ascension des "grands hommes" du cinéma.
Certes ce discours sur le cinéma, et sur la culture en général n’a rien de profondément révolutionnaire. Mais dans Under The Silver Lake, David Robert Mitchell a joué à coder son message dans une mise en abîme très ludique. C’est ce qui donne tout son sens à cette épopée étrange, ce sans quoi le film aurait été un fatras indigeste. L’interprétation de Andrew Garfield est remarquable, c’est un acteur que j’aimerais voir un peu plus souvent. Under The Silver Lake sera sans doute un des films les plus clivants de l’année. Pour moi, l’un des meilleurs.