Un film troublant et riche en concepts qui transforme la réalité et questionne la nature humaine!
A mi-chemin entre Kubrick et Lynch, entre réalité et science-fiction, entre matière et esprit, c'est un film riche en concepts que Jonathan Glazer nous offre là. Ce récit visuel épris d'une glaçante atmosphère brille grâce au talent de son metteur-en-scène et de Scarlett Johansson. Un parti pris risqué, une part importante d'ambiguïté, mais un résultat original et troublant, qui transforme la réalité quotidienne en une étrange sensation de malaise et remet en question l'identité et la nature même de l'être humain!
Si l'histoire de "Under the Skin" est tirée d'un roman de Michel Faber, c'est pourtant dans une toute autre direction que Jonathan Glazer porte ce récit à l'écran. L'histoire est celle d'une extra-terrestre camouflée en une belle femme sous les traits de la troublante Scarlette Johansson, qui parcourt l'Ecosse dans un van et aborde des quidam mâles dans la rue en les séduisant pour les entraîner dans un lieu où espace-temps semblent réduits à un vide noir infini. Là chacun se déshabille et, tandis que l'étrange femme s'avance dans l'obscurité, l'homme qui la suit s'enfonce dans une sorte de mare d'encre pour y rester figer, pris au piège d'une séduction qui lui sera fatale.
Face à ce récit qui aurait séduit Baudelaire et Edgar Allan Poe avant lui, Jonathan Glazer apporte une esthétique particulièrement unique de manière à créer une atmosphère glaçante, ambiguë et pleine de mystères. Grâce à une plastique sobre mais très soignée et à des musiques pour le moins inquiétantes composées par Mica Levi, Glazer rend son film visuellement très prenant et réussi, ne cachant pas certaines ressemblances avec le "2001 – L'odyssée de l'Espace" ou encore le "Shining" de Stanley Kubrick. Et pourtant, si ressemblance il y a, "Under the Skin" est toutefois bien loin de l'esprit de Kubrick et nous propose quelque chose de totalement nouveau. "Under the Skin" ne confronte pas l'être humain par rapport à l'univers ou à une technologie qui le dépasse comme dans "2001 – L'odyssée de l'Espace". Ici, l'être humain est confronté à lui-même et à ceux qui l'entourent.
Cette œuvre de science-fiction que nous propose Jonathan Glazer est donc ancrée dans une réalité très palpable, et le plus grand exploit du metteur en scène avec "Under the Skin" est certainement de parvenir à rendre étrange cette réalité quotidienne que nous connaissons tous. Alors que cette mystérieuse et séduisante femme parcours les rues d'Ecosse dans son van, nous voyons défiler sous ses yeux de véritables passants, capturés dans leurs actions quotidiennes par des caméras cachées aux aguets. Face à cette démarche de documentaire, ces images réelles prennent une toute autre signification une fois placées dans le montage du film. La réalité semble alors déformée, bizarre et hostile, comme si nous l'analysions d'un regard extérieur, un regard extra-terrestre ! Dès lors Glazer nous remet en question par rapport à notre identité, et à l'identité des autres : et si, parmi nous, il y avait des extra-terrestres déguisés ? Mais cela n'est que le premier stade d'une longue réflexion que suscite l'ensemble du film.
Si le film nous remet en question par rapport à l'identité humaine, il s'attarde particulièrement sur la distinction entre la nature humaine (son esprit) et ce que l'on voit d'elle (le physique). A travers diverses séquences et autres images conceptuelles, Glazer parvient à disséquer l'être humain, tantôt comme un psychologue, tantôt comme un scientifique. Il se met à dissocier l'esprit de la matière, le comportement humain de l'enveloppe charnelle, la nature humaine de l'apparence physique, pour en arriver à la conclusion que l'être et la peau qui le recouvre sont deux éléments bien différents. Cette réflexion sur la réelle nature de l'être humain le pousse également à s'intéresser à l'insonscient humain au fur et à mesure que le film avance. Rejoignant un peu la méthode de Lynch sans pour autant vouloir lui ressembler, Glazer commence à faire appel à nos sens en manipulant les images et les sons déferlant sous nos yeux et nos oreilles. Après tout, cette belle femme, symbole de séduction et de sexe, qui aborde des hommes pour les mener à un abattoir cosmique n'est elle pas la meilleure représentation de cette pulsion de meurtre qui hante le subconscient de chacun ? Cette vision cauchemardesque d'un enfant abandonné sur la plage n'est que le réenforcement de cette pensée horrible.
En réalité, l'usage de ce personnage extra-terrestre et de ce récit de science-fiction ne sont qu'un prétexte à Jonathan Glazer pour mieux se concentrer sur le monde réel et l'être humain afin de mieux les analyser et bien les cerner. Ce qui semble abstrait aux yeux des spectateurs n'est autre que métaphysique et représentations symboliques de l'inconscient humain. Rien n'est laissé au hasard. Mieux encore, Glazer accorde à son film certaines réflexions importantes sur le monde actuel qui nous entoure, sur le statut de la femme, le sexisme et le sexe en général, notamment à travers une scène dans une boîte de nuit.
Autre scène clé du film, celle où la mystérieuse étrangère accueille un homme au visage déformé dans son van. Etant donné qu'elle est un être venu d'ailleurs, elle n'a aucun préjugé sur la notion de beauté et accueille cet homme comme elle a accueilli les autres auparavant. Mais quelque chose change en elle à ce moment. C'est comme si Glazer avait voulu initier son extra-terrestre à l'empathie et à l'envie de découvrir ce que signifie 'être humain'. S'ensuivent alors certaines scènes où le personnage de Scarlett Johansson s'essaye à certaines pratiques humaines. Le récit prend alors presque une forme existentielle, comme si l'on assistait à "L'Etranger" d'Albert Camus sous les traits d'un extra-terrestre curieux et expérimentaliste envers la race humaine. Enfin, "Under the Skin" s'achève sur une note terrifiante et porteuse de réflexion, où l'être humain devient l'extra-terrestre et où l'extra-terrestre devient (presque) humaine.
Qu'est-ce qu'un être humain ? C'est la question que Jonathan Glazer s'est posée en réalisant "Under the Skin". La magnifique, mystérieuse et plus érotique que jamais Scarlett Johansson électrise les spectateurs et leur offre une prestation magnifique et troublante dont ils se souviendront. Evitant les dialogues pour se concentrer sur une histoire purement visuelle, Glazer bouleverse le monde réel en le remettant en question : un quotidien rendu bizarre, la séduction devenant signe de danger, la notion de laideur rendue relative... A travers "Under the Skin", c'est l'identité même de l'être humain qui est pour ainsi dire mise à nu, et ce dans le sens littéral tout comme figuré ! Un nouveau bijou du 7e Art...