C'est lors d'une nuit fertile en idées que Len Wiseman et Kevin Grevioux conçoivent le germe d'une tragédie gothique où l'amour interdit se déploie dans un univers déchiré par une guerre séculaire. En substituant l'affrontement shakespearien entre les Capulet et les Montaigu par une querelle acharnée entre vampires et loups-garous, les créateurs plongent dans une mythologie nocturne. Cette relecture emprunte à la romance maudite de Romeo and Juliet une intensité dramatique, mais elle s'en distingue par une approche où la fatalité est mâtinée de noirceur surnaturelle et d'une soif insatiable de vengeance.
Les vampires et les lycans (loups-garous) se voient dépouillés de leur aura purement mystique pour être réinterprétés à travers le prisme d'une analyse quasi scientifique. Wiseman et Grevioux introduisent une logique génétique, une rationalité froide qui enrobe ces figures légendaires d'une modernité glaçante, renforçant ainsi leur caractère inquiétant.
Len Wiseman, dans son ambition de donner vie à ce monde d'ombres et de conflits, s'entoure du scénariste Danny McBride, un acolyte partageant sa fascination pour les récits de genre. Leur collaboration devient un creuset où les idées s'affinent et se structurent. McBride apporte une solidité narrative, tissant avec soin les fils complexes de cette guerre ancestrale.
Avec une vision claire de son projet mais un budget restreint, Len Wiseman parvient à transcender les contraintes pour créer un univers visuellement envoûtant. Budapest, avec ses architectures néogothiques et ses ruelles embrumées, devient un personnage à part entière, un écrin lugubre où s'épanouissent les intrigues nocturnes. Les cieux pesants et les intérieurs oppressants reflètent l'intensité des conflits, imprégnant chaque scène d'une atmosphère d'apocalypse imminente.
En 2003, Underworld fait irruption dans les salles obscures, marquant les esprits par son esthétique et son univers riche.
Underworld est une œuvre à la croisée des chemins, un hommage vibrant à une génération de films qui ont marqué l’imaginaire collectif des années 90 et 2000. Impossible de ne pas déceler dans son ADN les éclats de The Crow, ce joyau sombre et mélancolique où la vengeance côtoie une poésie funèbre. De même, Blade, avec son approche stylisée du mythe vampirique, et The Matrix, dont l’esthétique cyber-gothique et les chorégraphies en slow-motion sont devenues iconiques, imprègnent chaque scène du film. Ce mélange d’inspirations fait du film un véritable sanctuaire pour les cinéphiles adolescents des années 2000. Les costumes de cuir noir brillant, les décors sombres et industrieux, et la bande-son emplie de riffs métalliques et de mélodies lugubres constituent un univers totalisant. Chaque élément semble conçu pour séduire ceux qui trouvent une beauté tragique dans la nuit éternelle et les affrontements cataclysmiques. Ce kaléidoscope d’influences, loin de diluer l’identité du film, renforce son caractère de culte instantané.
Les amants maudits, Selene et Michael Corvin, incarnent la tragédie romantique et gothique par excellence. Kate Beckinsale, dont le nom a été un pilier pour la concrétisation du projet, apporte à Selene une froideur aristocratique tempérée par une douleur latente. Selene n’est pas une vampire comme les autres : derrière ses instincts de guerrière implacable, elle cache une vulnérabilité forgée par une trahison profonde. De son côté, Scott Speedman incarne Michael Corvin avec une sincérité touchante. Humain pris dans une tourmente qui le dépasse, il se découvre porteur d’un héritage monstrueux, et son évolution est au cœur de l’intrigue.
Parmi les chefs de clans, deux figures se détachent. Kraven, interprété par Shane Brolly, est un vampire avide de pouvoir, dont la bassesse contraste avec l’aura majestueuse de ses semblables. À l’opposé, Michael Sheen, dans le rôle de Lucian, insuffle une profondeur inattendue au chef des lycans. Lucian n’est pas simplement un antagoniste ; c’est un personnage tragique, un leader habité par une souffrance séculaire et une quête de liberté pour son peuple.
Cependant, la véritable figure impériale du film est Viktor, interprété avec une intensité royale et magistrale par Bill Nighy. Ce vampire ancestral incarne à la perfection l’arrogance froide et le pouvoir tyrannique. Sa présence sur l’écran est une leçon de domination théâtrale, conférant au film une dimension shakespearienne.
Enfin, Kevin Grevioux, scénariste et producteur associé, s’offre un rôle mémorable en incarnant Raze, une montagne de muscle lycan. Sa stature imposante et sa loyauté envers Lucian renforcent la dynamique du clan lycan, ajoutant une dose de brutalité brute à leur lutte.
Len Wiseman, ayant débuté dans les départements artistiques, démontre une maîtrise esthétique qui élève son film au rang des œuvres visuellement mémorables. Sa collaboration avec Patrick Tatopoulos, expert en effets spéciaux et maquillage, est une pierre angulaire du succès visuel du film. Les créations de Tatopoulos, qu’il s’agisse des transformations des lycans ou des détails cadavériques des vampires, confèrent au film une authenticité macabre. Chaque créature semble surgir d’un cauchemar gothique, mi-animal, mi-démon, capturant parfaitement la dualité monstrueuse de ce monde.
Tatopoulos, ayant travaillé sur ce que j’appel la sainte trinité américaine de Roland Emmerich : Stargate, Independence Day et Godzilla, ainsi que sur le chef-d’œuvre gothique Dark City de Alex Proyas ; il apporte son expérience dans la création d’univers dystopiques et inquiétants. Ces collaborations bouclent la boucle des inspirations de Wiseman, ancrant le film dans une tradition visuelle riche en noirceur et en grandeur.
Underworld s’impose comme une fresque gothique où le romantisme tragique et la brutalité surnaturelle se mêlent pour créer une expérience cinématographique inoubliable. En s’inspirant de classiques comme The Crow et The Matrix, Len Wiseman offre une œuvre à la fois moderne et intemporelle, portée par des personnages captivants comme Selene et Michael, des chefs de clans charismatiques, et une esthétique ténébreuse sublimée par le travail de Patrick Tatopoulos. Entre une mythologie réinventée, des affrontements viscéraux, et une profondeur émotionnelle rare dans le genre, Underworld transcende son statut de film d’action pour devenir une véritable ode à la nuit, aux passions interdites et à la lutte éternelle entre les ténèbres et la lumière.