En 2005, Len Wiseman, maître d’œuvre des deux premiers volets de la saga Underworld, évoque avec conviction une vision trilogique. La saga, parée de teintes nocturnes et de mythologies obscures, avait déjà captivé un public avide de récits ténébreux mêlant vampires et lycans. Len Wiseman annonçait que le destin du troisième opus serait scellé par l’accueil réservé à Underworld : Evolution.
Ce dernier, bien que triomphant dans l’arène financière, fut frappé d’un jugement cinglant de la part des critiques, ses imperfections étant mises à nu comme une relique gothique ébréchée.
Face à ce constat contrasté, les studios optèrent pour un compromis, un pacte presque faustien : le troisième volet ne poursuivrait pas les lignes temporelles déjà établies, mais reviendrait au berceau des conflits. Ainsi naquit l’idée d’une prequel, un récit remontant aux tréfonds des âges, à l’aube des batailles sanglantes entre les vampires et leurs esclaves rebelles, les lycans. Ce choix, à la fois audacieux et prudent, cherchait à charmer un public désireux de comprendre les racines des malédictions ancestrales tout en évitant les écueils de critiques déjà lassés.
Danny McBride, dont la plume avait autrefois sculpté les récits gothiques des deux premiers films, revient pour poser les fondations scénaristiques de ce chapitre originel (il sera aidé de Dirk Blackman et Howard McCain). Cependant, Len Wiseman, telle une âme errante quittant un domaine hanté, décide de s’éloigner de son rôle de réalisateur en emportant Kate Beckinsale, sa femme, icône auréolée d’une élégance sombre et d’un charisme vampirique. Ils laissent derrière eux un vide béant, une plaie béante pour la saga.
Pour combler ce vide, c’est Patrick Tatopoulos, architecte des illusions gothiques et magicien des effets spéciaux des deux premiers films, qui se voit confier les rênes. Ce créateur des créatures cauchemardesques, familier des ombres et des textures macabres, s’aventure ici dans une contrée nouvelle : la réalisation. Si ses talents dans l’artisanat des ténèbres sont incontestés, la question demeure de savoir s’il parviendra à insuffler une vie cinématographique à son premier long-métrage. Son ascension à ce rôle central est une lueur d’espoir pour les fidèles de la saga, mais aussi une source de frissons d’anticipation.
En 2009, Underworld : Rise of the Lycans surgit des ombres pour envahir les écrans. Le film, tel un spectre nocturne, séduit suffisamment de spectateurs pour inscrire son nom dans les annales du box-office. Cependant, une malédiction semble peser sur la saga : la presse et les spectateurs, armés de leurs plumes acérées, déchirent sans pitié l’œuvre.
Si Underworld avait tenté de tisser un récit romantique teinté de tragédie autour de Selene et Michael, le public savait qu’il n’était que l’écho d’une histoire bien plus poignante : celle de Lucian et Sonja. Ce troisième opus s’épanouit en explorant cette romance interdite, empreinte de souffrance et de défiance, qui évoque inévitablement les passions destructrices de Romeo and Juliet de Shakespeare. La relation de Lucian et Sonja, introduite à travers de brefs flashbacks dans les précédents volets, se déploie ici dans toute sa tragique splendeur, illuminant les racines du conflit immortel entre les vampires et les lycans.
Ce récit, qui aurait pu se perdre dans les méandres du déjà-vu, surprend par sa fraîcheur narrative. Les scénaristes parviennent à éviter la redondance en insufflant une énergie nouvelle à cette genèse. L’amour interdit entre un esclave lycan et une héritière vampire se mêle habilement à la montée inexorable d’une guerre fratricide. La montée en puissance des tensions, l’atmosphère oppressante et les enjeux dramatiques confèrent à ce film une intensité qui captive sans jamais sombrer dans la monotonie.
Michael Sheen reprend avec brio le rôle de Lucian, le chef des lycans, et se révèle une fois de plus impérial dans l’incarnation de ce personnage charismatique et torturé. Face à lui, Rhona Mitra incarne Sonja, avec une prestance qui rappelle inévitablement Kate Beckinsale, mais qui s’en distingue par une gravité plus tragique. Leur alchimie, différente de celle entre Selene et Michael, est marquée par une intensité brute et une mélancolie palpable. Le choix de suivre le lycan Lucian, plutôt que Sonja, déjoue les attentes et offre un point de vue singulier qui renforce l’immersion dans le monde des lycans.
Le français Patrick Tatopoulos, fidèle à son expertise d’artisan des ténèbres, imprime sa vision en plaçant les loups-garous au cœur de l’histoire. Ces créatures, souvent reléguées à un rôle secondaire dans les précédents volets, deviennent ici des protagonistes à part entière. Leur sauvagerie, leur noblesse tragique et leur lutte pour la liberté transcendent les clichés habituels du genre. Patrick Tatopoulos, en tant que concepteur des lycans, donne une dimension viscérale à cette guerre où les lycans ne sont plus de simples monstres, mais des guerriers habités par une quête désespérée d’émancipation.
Bill Nighy, dans le rôle du vampire tyrannique Viktor, livre une prestation magnifiquement excessive, digne d’un théâtre gothique. Sa diction solennelle, ses regards glaçants et sa froide détermination renforcent la gravité de son personnage. Bien que les spectateurs connaissent déjà l’issue de la guerre et les motivations de Viktor, son jeu ajoute une profondeur captivante, transformant son rôle en une présence quasi-mythologique.
Un des plaisirs de cette prequel réside dans la réapparition de personnages secondaires emblématiques. Kevin Grevioux, dans le rôle de Raze, bénéficie d’un développement enrichissant qui éclaire les origines de sa loyauté envers Lucian. De même, Steven Mackintosh, en Andreas Tannis, apporte un éclairage sur l’organisation sociale des vampires, révélant son statut antérieur au sein de leur hiérarchie. Ces retours tissent un fil narratif qui lie les chapitres de la saga, créant un univers cohérent et enrichi.
Underworld : Rise of the Lycans s’impose comme une fresque tragique et immersive qui explore avec brio les origines d’un conflit séculaire. En mêlant une romance interdite d’une intensité poignante à une guerre viscérale où les lycans se battent pour leur liberté, le film enrichit l’univers gothique de la saga tout en offrant un souffle épique et dramatique. Porté par des performances solides, une vision renouvelée grâce à Patrick Tatopoulos, et un équilibre subtil entre action et émotion, ce chapitre parvient à raviver les flammes d’une franchise tout en se démarquant par sa singularité narrative.