Succédant à The Square, Moi, Daniel Blake et Dheepan, Une affaire de famille de Kore-eda Hirokazu n'est pas vraiment le film qui nous enlèvera l'idée que Cannes est le festival des millionnaires qui viennent voir une fois par an des histoires de pauvres sur grand écran...
On ne va pas crier au scandale pour autant, si elle est consensuelle, la palme d'or 2018 n'est certainement pas imméritée. Kore-eda, prix du Jury en 2013 pour Tel père, tel fils, et en compétition en 2015 avec Notre petite sœur, livre probablement avec Une affaire de famille son œuvre la plus aboutie : au Japon, une bande de marginaux vivotant des pensions de la grand-mère, accompagnées de petits larcins çà et là, recueille une petite fille pour nous faire vivre 2h de moments de tendresse douce-amère où l’on va peu à peu comprendre ce qui a amené chacun d'entre eux à vivre sous le même toit.
Si la plongée cotonneuse dans l’intimité de ces attachants paumés, chacun à leur manière, réunis par quelque chose de plus fort que les liens sang, a largement de quoi émouvoir (d’autant plus qu’elle est accompagnée de solides performances de ses interprètes principaux), il demeure le sentiment d’assister à un spectacle d’une impertinence trop policée. L’exploration de cette zone d’ombre de la société japonaise, dans son écrin de couleurs vives et les rires des enfants, donne l’impression d’être devant une version bisounours de Rémi sans famille où les passages traumatisants manqueraient, un Audiard aux aspérités calfeutrées avec des mousses de protection pour bébés, un Visitor Q en dose homéopathique…
On retrouve l’obsession de Kore-eda pour la famille et la filiation, jusqu’à frôler le risque de tourner en rond, mais surtout sa maitrise du style « tranche de vie » malgré un tout petit aspect polar dans son dernier segment, peut être hérité de The third murder, son avant-dernier film. C’est d’ailleurs cet aspect-là qui permet de ne pas complètement s’endormir en milieu de route, même si cet embranchement aurait pu arriver plus tôt. Une affaire de famille est avant tout focalisé sur le développement de ses personnages étalé sur 90 bonnes minutes. Les afficionados du réalisateur seront dans la salle pour ça, les autres regarderont sans déplaisir cette histoire se passer avant de se montrer peut-être plus critique envers le dernier segment, plus osé, mais aussi plus inégal où Kore-eda prend le pari – gagnant, du moins pour Cate Blanchett - de casser brutalement l’alchimie minutieusement installée.
Pourquoi son projet le plus abouti alors ? Parce que sa caméra n’a jamais été aussi pliée à sa volonté, sa lumière aussi complice des sentiments qu’il veut faire passer, et son casting aussi juste. Parce que son scénario, surtout, arrive à faire quelque chose de son thème du « vivre ensemble » qui traverse toute sa filmo. Kore-eda est plus que jamais maître des ingrédients qu’il manie depuis quinze ou vingt ans.
Après… S’il fait peut-être ça un peu mieux que d’habitude pour donner un éclairage fascinant à un milieu social sous-représenté, difficile de trouver de l’audace ou des idées décapantes dans les 121 minutes de ce film. Le cinéaste est un virtuose qui donne l’impression de ne jouer qu'une partition connue. De remarquable à mémorable il y a un pas qu’une affaire de famille ne franchit pas, et c’est bien dommage pour une palme d’or.