Cette palme d'or - juste mais contestée - attribuée à Cannes au dernier film de Kore-eda, vient à notre avis enfin reconnaître l'importance du plus grand réalisateur japonais actuel, digne héritier des Mizoguchi, Naruse ou Ozu qui furent l'honneur d'un cinéma "social" et "humain" quasiment sans égal dans l'histoire du cinéma. Car, même si "Une Affaire de Famille" ne renouvelle en rien - comme certains s'en sont plaints - ni les thèmes ni la mise en scène de Kore-eda, il lui permet d'atteindre une grandeur et une subtilité encore inédites dans son oeuvre : ainsi la manière dont naît l'émotion au cours de la scène de la plage, la plus belle d'un film qui n'en manque pourtant pas (le feu d'artifices invisible, le peep show, le sexe un jour de déluge estival...), évoque irrésistiblement la magnificence tranquille d'un Ozu au sommet de son art.
Impossible bien entendu de ne pas penser ici au fameux "Nobody knows", avec cette structure familiale clandestine et bientôt "hors-la-loi", voire au merveilleux "Tel père, tel fils", prônant déjà la liberté du choix de la filiation, loin des diktats génétiques, mais la "démonstration" à laquelle se livre cette fois Kore-eda est à la fois plus radicale - le monde extérieur s'étant terriblement durci autour de la cellule familiale - et paradoxalement plus ambigüe : car si le jugement porté par les "Autorités" sur cette famille "recomposée" est impitoyable, il nous est tout aussi difficile (à nous, spectateurs...) d'avaler les différentes révélations quant à la morale ou aux comportements passés de personnages que nous avons pourtant appris peu à peu à aimer au fil de ces scènes anodines et délicates dont Kore-eda a toujours eu le secret !
La dernière partie du film agit donc comme une douche glacée, après le délicat bain de bonheur qu'a été le film jusque là... et nous fait donc réaliser combien ce cinéma-là est immense. Mais le tour de force, certes un tantinet trop magistral peut-être du scénario, est que ce réveil hébété du spectateur est aussi la confirmation que ce dont nous avons été les témoins éblouis faisait absolument sens.
Au delà du mélodrame sensible, "Une Affaire de Famille" se dévoile in extremis comme un superbe acte de résistance, et un vrai film politique.
[Critique écrite en 2018]