C'est le premier film de Kore-Eda que je découvre, emmitouflé dans la petite salle de ma ville, et je savais que j'allais aimer. Avant même de commencer le film, parfois, il arrive que ce genre de choses se produisent : Le coup de cœur est amorcé dès les premiers plans, dès les premiers mots.


La première scène traduit peut-être toute l'ambition si subtile du film : Un petit garçon et son père sont dans un supermarché et se concertent pour voler un produit sans être pris, au lieu d'effectuer leurs courses normalement. Pas banal. Pourtant, le regard porté sur la scène est si tendre, si doux, dénué de mouvements brusques de caméra ou de dialogues impromptus. Tout parait alors évident. C'est peut-être là que se résume Une affaire de famille. On retrouve cette spontanéité de l'action tout de suite après, lorsqu'ils découvrent la petite fille sur la terrasse de sa maison, laissée à l'extérieur le regard implorant (et bouleversant) qui, sans prononcer un mot, lance des appels à l'aide des plus convaincants. Alors, encore une fois, l'action du père lui offrant un met qu'il vient d'acheter avant de lui proposer de venir avec son fils et lui parait évidente. Pourtant,on pourrait considérer qu'il "s'agit d'un enlèvement".


Tout est très lent, le film s'autorise même à faire des fondus à la fin de quelques scènes. Les instants suspendus s'enchaînent et Kore-Eda n'hésite pas à faire sentir le temps qui passe, la routine de cette famille étrange. Le faire sentir sans que l'on s'ennuie une seule seconde. Il mêle ainsi l'inhabituel de chaque situation et sa plus grande normalité : Elle n'aurait pu se passer ainsi que ici, parmi ces gens, dans cette maison. De ce contraste aux ingrédients magiques naît le déchirement du film. On guette alors le moindre mot prononcé par un personnage : Car l'économie fait que chacun d'entre eux est significatif et pas choisi au hasard, pourtant prononcé d'un naturel renversant par ces acteurs talentueux (ils le sont vraiment tous, Lily Franky en tête). On guette aussi le moindre geste, le moindre signe d'affection qui pourrait se manifester au sein de ces relations qui se développent sans le dire, pudiques et généreuses à la fois : Lorsque la petite Rin caresse timidement la joue de Sakura Ando qui lui répète en la serrant dans ses bras que "quand on aime les gens, on leur fait comme ça", le coeur se brise de lui-même. Parce que l'instant arrive à l'instant précis où cela peut fonctionner, et de la façon la plus juste possible.


Kore-Eda raconte la vie à merveille, par une caméra d'enfant qui s'émerveille de tout et nous préserve (presque jusqu'au bout...) de la réalité du monde extérieur. Pendant une heure et demie, on s'oublie alors au creux de cette maison superbement éclairée, où les détails fourmillent, et on observe alors le moindre indice qui peut nous en révéler un peu plus (bien qu'au bout d'un moment, on n'est plus vraiment sûrs de vouloir savoir ce qu'on nous cache. C'est aussi là la véritable tragédie). Les personnages sont creusés subtilement, chacun d'eux a le droit à son développement juste assez montré pour laisser la place à notre imaginaire. Rien ne pourrait faire sens, et pourtant tout paraît être à sa place, comme sur une photo de famille (qui parfois masque parfaitement la réalité des faits) : Malgré sa précarité, on semble proche du bonheur. Cela est parfaitement représenté lors de la merveilleuse (je pèse mes mots) scène au bord de la plage, magnifique tableau des cinq personnages face à la mer déchaînée, en proie à une joie peut-être tout aussi intense. Le plus beau dans leur bonheur est qu'ils ne paraissent pas l'évaluer. Ils ne savent pas qu'ils sont heureux. En tout cas, ils refusent de poser les mots dessus. La façon désinvolte de Lily Franky de vivre chaque merde qui s'impose à lui, en continuant de rire tout seul, de chantonner innocemment fait mouche. On s'y laisse prendre jusqu'au bout, parce que Kore-Eda porte le même regard passionné et apaisé sur ses personnages. La chute n'en est que plus douloureuse.


Tout est juste, et à chaque instant : Chaque dialogue, chaque plan et sa durée, chaque moment musical ou silencieux. Chaque choix, en vérité. On peut être chamboulé, ou ne pas l'être. Mais dans tous les cas, il faut reconnaître qu'une étincelle se dégage de ce film : Un vrai génie de cinéma.

Elliptic
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le 22 déc. 2018

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Elliot Minialai

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