On aurait tort de ne voir dans le film de Chabrol que l'histoire d'une avorteuse condamnée à mort. Car le sujet qu'aborde Chabrol lui permet d'aller plus loin que le fait divers et d'évoquer la condition générale de la femme française en ce début des années 40, sous Vichy précisément.
Déjà, le personnage d'Isabelle Huppert nest pas ce qu'il semble être au début du film, une mère courageuse dont le mari est prisonnier en Allemagne. Et surtout Marie Latour n'est pas une héroine particulièrement sympathique ou attachante. Adultère, avorteuse et même maquerelle, Marie est une femme amorale mais -et c'est toute la subtilité du propos- c'est une femme qui, sans en avoir conscience, revendique et gagne sa liberté, précisément parce qu'elle s'affranchit de la morale. Marie est scandaleuse parce qu'elle sort du rôle de femme effacée, de figure subalterne que la société française de l'époque lui impose d'être. Chabrol est doublement subversif en ce qu'il dénonce ce carcan social tout en créant un personnage cinématographique inattendu et anti-manichéen qui prend à contrepied les héroines conventionnelles.
Isabelle Huppert est formidable dans ce rôle de femme un peu sotte, presque candide qui n'agit que par instinct, sans réflexion, un rôle qui annonce ceux d'Emma Bovary et de la postière de "La cérémonie" (et qui rappelle Violette Nozière). Le metteur en scène ne porte aucun jugement sur Marie et seule la peine de mort lui inspire un jugement moral. La sobriété de la réalisation, l'authenticité des décors et des personnages garantissent, plus qu'un portrait, une étude de moeurs d'une grande qualité.