Alors qu’elle est persuadée d’avoir parfaitement mené son existence jusqu’à ses 50 ans, Marion découvre par procuration qu’elle est en réalité passée totalement à côté de ce qui fait le sel de la vie. En écoutant les doutes exprimés par la jeune femme chez son psy, Marion se plonge à nouveau dans son passé et sort progressivement de son aveuglement. Elle, la brillante philosophe, universitaire admirée de tous ses élèves, n’a-t-elle pas fait le malheur de son entourage proche par son égocentrisme forcené ? N’a-t-elle pas rabaissé son petit frère, moins brillant qu’elle ? N’a-t-elle pas volé les amants de ses meilleures amies ? N’a-t-elle pas privé son premier amour d’un enfant en décidant d’avorter sans consulter le père ? Autant de décisions qui lui semblaient parfaitement justifiées jusqu’à ce jour où elle regarde pour la première fois sa vie avec suffisamment de distance pour faire son autocritique.
Grand admirateur du cinéma intimiste d’Ingmar Bergman, Woody Allen a toujours éprouvé un sentiment d’infériorité vis-à-vis du maître suédois, considérant que le genre dans lequel il évolue (la comédie) n’est pas digne de figurer au panthéon des grandes œuvres cinématographiques. Aussi, le cinéaste le plus new-yorkais s’est emparé de l’univers torturé de son plus grand inspirateur dans une trilogie qui débute en 1978 avec Intérieurs, se poursuivant dans l’automnal September (1987) et arrivant à terme avec cette Autre femme (1988) que l’on pourrait finalement considérer comme le meilleur opus du lot. Là où les deux films précédents cherchaient à imiter le cinéma de Bergman, le réalisateur parvient avec Une autre femme à signer une œuvre totalement personnelle.
Si l’ensemble est très sombre, jusque dans les éclairages contrastés et parfois d’une grande froideur cérébrale à l’image du personnage principal, Une autre femme se pare d’une humanité touchante grâce à l’interprétation magistrale d’une Gena Rowlands toute en retenue. Loin des personnages extravertis qu’elle a interprétés pour John Cassavetes, elle livre ici une prestation exemplaire dénuée du moindre tic. Elle est magnifiquement secondée par une Mia Farrow discrète, un Ian Holm froid et un Gene Hackman délicatement exalté. Certes, les amoureux du Woody Allen alerte et désinvolte trouveront sans doute le résultat un rien plombant, mais cet opus possède un charme fou qui en fait une pièce maîtresse dans l'univers d'Allen