Découvrir les dernières nouveautés du cinéma coréen, ou de grands représentants du cinéma coréen contemporain, c’est ce que propose le Festival du Film Coréen à Paris. Mais c’est aussi l’occasion de s’aventurer dans la section Classiques et d’y découvrir des films d’autres époques, comme Sweet Dream, le plus ancien film coréen conservé, ou Aimless Bullet, film de 1961 étant souvent considéré comme étant un des plus grands films coréens. Et ce fut, en effet, une grande découverte.
Au lendemain de la guerre, le pays tente de se reconstruire. Ceux qui se sont battus pour leur pays cherchent à retrouver leur place, retrouvant la vie civile, malgré les traumatismes et les difficultés caractérisant l’époque. L’un est un vétéran, l’autre est un comptable qui peine à joindre les deux bouts. Les temps sont particulièrement durs, et le tableau que Yu Hyun-mok nous dresse ici de la Corée n’est pas des plus joyeux, trouvant beaucoup de points communs avec d’autres films réalisés en Europe et traitant de cette époque.
En effet, Aimless Bullet présente de nombreuses caractéristiques du film néoréaliste, trouvant diverses similitudes avec des films comme Allemagne, année zéro et Rome, ville ouverte, de Roberto Rossellini, et, plus particulièrement encore, du Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica. Aimless Bullet présente cette approche très ancrée dans la réalité, descriptive, quasi-documentaire issue des grands films néoréalistes de la fin des années 40. La réalité qui est ici décrite est particulièrement dure, misérable, ce qui en fait un film à l’atmosphère certes négative, mais profondément marquante et émouvante.
Yu Hyun-mok montre comment la guerre a brisé des familles, où les anciens ont perdu leurs enfants, où ces derniers reviennent traumatisés de la guerre, où les femmes se battent pour survivre et doivent, parfois, se prostituer. Le cinéaste montre les dégâts de la guerre, mais aussi en quoi la nouvelle situation du pays le soumet au joug des Etats-Unis, à l’image des jeunes femmes qui se jettent dans les bras des soldats américains. L’espoir n’a que bien peu de place dans ce pays dévasté, et ceux qui voudraient le réintégrer et suivre la justice et l’honnêteté ne peuvent que dévier, devenant des parias, à l’image du personnage d’Eddie Bartlett dans Les Fantastiques Années 20 ou de James Allen dans Je suis un évadé, qui se reflètent beaucoup dans le personnage du frère vétéran.
Énormément de douleur, de détresse et de désespoir émanent d’Aimless Bullet, tableau aux accents néoréalistes d’une Corée d’après guerre exsangue, où les familles sont brisées et où les survivants errent comme des fantômes. Le cinéma coréen d’époque est, hélas, encore plus méconnu chez nous que le cinéma coréen contemporain et, pourtant, nous nous trouvons ici face à l’un de ses plus grands représentants. Superbement filmé, avec des personnages profonds et pour lesquels on éprouve une grande empathie, très intelligent dans son écriture pour représenter avec pertinence la souffrance d’un pays à genoux, Aimless Bullet est sans conteste un grand film, un geste fort qui a gardé toute sa puissance et continue encore de nous émouvoir aujourd’hui.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art