La Nouvelle Vague sud-coréenne a suscité un intérêt du côté occidental pour ce cinéma national au début des années 2000, mais le flot des réalisations associées a aussi eu pour conséquence une certaine occlusion vis-à-vis du reste du patrimoine, et c'est bien tardivement que je réalise à quel point je connais très mal ses racines. Je crois bien que je n'ai vu que 3 films coréens sortis avant la fin du XXe siècle : Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? (1989), et le classique de Kim Ki-Young La Servante (1960), auxquels vient désormais s'ajouter Une balle perdue — Aimless Bullet en version internationale et Une balle ovale en traduction littérale.
C'est quand même très surprenant de découvrir ce cinéma-là, mélange de néoréalisme italien contemporain et de composantes documentaires sur les conséquences délétères de la Guerre de Corée. Et autant dire que Obaltan n'est que noirceur du début à la fin, il irradie de tout son pessimisme quant aux conditions d'existence dans cette Corée dévastée et il se dégage de cette configuration des effluves dépressives assez radicales.
Le noyau géographique d'où émane tous les fils narratifs se situe dans une habitation délabrée, autour d'une famille composée de trois enfants, Cheolho, Yeongho et Myeongsuk, et leur mère âgée et malade qui passera son temps alitée à répéter les mêmes mots. Cheolho travaille comme comptable mais son maigre salaire ne le prémunit pas de conditions de vie déplorables avec sa propre famille, ses enfants auxquels il ne peut pas acheter de chaussures, sa femme enceinte qui ne pète pas la forme, et lui traînant une rage de dents insoutenable. Yeongho est handicapé par une blessure de guerre et ne trouve pas de boulot, dégoûté par le personnage de vétéran qu'on lui propose de jouer pour les besoins d'un film. Il tentera un braquage de banque de la dernière chance, et attention spoiler, ça ne va pas bien se passer. Quant à la petite sœur Myeongsuk, cette ancienne infirmière en est réduit à la prostitution auprès des soldats américains pour survivre. Difficile de faire plus dysfonctionnel comme famille.
La peinture d'après-guerre proposée par Yu Hyun-mok n'est pas un enchantement de tous les instants, on le saisit très vite. La misère est omniprésente, les blessures multiples persistent, et la reconstruction semble extrêmement compliquée. Rétrospectivement la tonalité pessimiste unilatérale du film peut s'avérer écrasante, assommante, excessive même dans sa dimension mélodramatique — à l'époque déjà, le gouvernement l'avait censuré à cause de sa dureté et de son réalisme. Mais le portrait d'un pays ravagé et exsangue reste malgré tout saisissant dans sa vision de la situation, et à mes yeux unique dans le témoignage du chaos social de ce moment de l'histoire de la Corée.
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