Faire un film sur la mort peut se révéler une tâche ardue, défi qu'Uberto Pasolini a relevé avec brio, soumettant aux spectateurs un film d'une grande justesse, infiniment émouvant, épuré, jamais sur-joué et caractérisé par sa simplicité. Certains pourront se plaindre que justement, il manque de complexité. Contrairement à ce que ces gens doivent penser, on ne meurt pas en faisant de longues tirades enflammées et romantiques comme à l'opéra, mais pour la majorité plutôt seul et discrètement, voire dans la misère. Pasolini nous offre un film criant de réalisme, ne se posant à aucun moment comme juge de l'existence présente et passée des personnages.
John May est l'ange dévoué, généreux et aux sentiments purs qui amène toutes ces modestes personnes à leur destination finale : le paradis. Il se met à leur service pour leur préparer un enterrement digne de ce nom avec beaucoup de bonne volonté, qui ne sera malheureusement pas toujours suffisante. Il se donne pour devoir d'assurer à tous une belle fin malgré qu'ils soient morts à l'insu des autres, sans famille ou presque. Il recherche avec détermination leurs proches, demandant inlassablement "Would you consider coming to the funeral ?" (viendriez-vous à l'enterrement ?) et essuyant des refus quasi systématiques.
Dans le monde contemporain, John May semble être d'ailleurs le seul à avoir encore du respect pour les morts contrairement à Mr Pratchett (son directeur) qui veut fermer son service pour faire des économies, se montrant odieux et condescendant avec son employé. Il bâcle les funérailles des défunts, ignorant leurs dernières volontés (de toute façon, ils n'iront pas vérifier, hein !) pour les incinérer et répandre leurs cendres sans autre considération. Même les familles des morts ne prennent même pas la peine de se déplacer pour assister à la cérémonie, s'intéressant seulement aux frais qu'elles devront faire (on n'allait quand même pas payer pour ce père indigne !).
Le rythme du film est à l'image du personnage principal. Son quotidien nous oppresse par son organisation extrême : tous les jours, il fait les mêmes gestes, mange la même chose, marche dans les mêmes rues, minutieusement, inlassablement et inévitablement (pour ne pas dire fatalement). On apprécie d'autant plus sa libération progressive dans le film de son quotidien ennuyeux. Le malaise se renforce au fil du film, réveillant au passage notre peur de l'avenir et de la mort (cure de philosophie et de religion pour tout le monde à la sortie, il paraît que c'est efficace). On a tous un peu envie que John May s'occupe de nous plus tard si on se trouve dans la même situation.


(SPOILER)


Néanmoins, la fin était assez prévisible. Il était évident que Mr May ne pouvait vivre sans son travail, qu'il accomplissait avec tant d'abnégation. Son existence aurait tout simplement été absurde, comme privée de sens s'il avait survécu. Il quittera la vie comme ses clients, seul et sur la pointe des pieds, ratant de peu sa plus grande œuvre : le rassemblement d'une dizaine de personnes pour le dernier enterrement qu'il avait à préparer. C'est à peine si Kelly Stoke remarque son absence. L'homme à la fenêtre sous laquelle il passait tous les jours est plus blasé que jamais. Au moins, il n'aura pas dû attendre de commencer à se décomposer comme William Stoke pour qu'on découvre sa mort (plutôt dégradant). S'il était solitaire dans la vie, il aura quand même noué beaucoup de liens, comme on peut le voir avec l'album des photos de toutes les personnes à qui il aura offert une digne fin, fantômes rassemblés autour de sa sépulture encore fraîche.

Marinière
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le 25 avr. 2015

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