Une enfance propose une superposition inattendue et à priori intéressante entre d’une part une intrigue de premier plan qui met en jeu un intimisme finalement assez bobo – « Maman, je suis ton garçon de douze ans qui t’aime mais tu fais de la merde »… –, et d’autre part ce qu’on appellera un arrière-plan social si on veut éviter l’expression cas sociaux. (Au spectateur qui trouverait exagérée la profondeur de cette misère sociale, on conseillera de fréquenter un peu plus le Dombasle-sur-Meurthe le plus proche de chez eux *, cette sorte de non-zone entre banlieue et campagne qui se rapproche de l’habitat des rednecks états-uniens : des gens qui laissent des gamins assister à leurs beuveries, des types qui prostituent leur femme, des femmes qui ne savent pas dire non, oui, ça existe.) C’est un peu comme si la vague amourette du personnage principal n’était précisément là que pour dire qu’ici, il n’y a pas d’amour.
En l’occurrence, certains éléments rendent crédible, pour ne pas dire prenante, l’évocation du milieu social où Jimmy et Kevin grandissent comme des fleurs sous le bitume : Alexi Mathieu en enfant-ado aux exigences simples et Pierre Deladonchamps en pauvre type dans les deux sens de l’expression jouent impeccablement. L’instituteur aussi est assez réussi, en luron faussement gai et tout aussi perclus d’ennui que les personnages principaux. Quant au resserrement de l’action sur un été – avant l’entrée au collège – et une bourgade – Jimmy reste à distance de vélo de chez lui –, il permet assez vite de redoubler l’oppression sociale par une oppression spatiale et temporelle ; de fait, vient un moment où le spectateur se fait clairement chier : c’est précisément quand Jimmy parvient au comble de l’ennui. Le fait que les principaux événements du film ne soient pas mis en relief lui donne paradoxalement une forme de puissance.
Mais il y a un hic : Philippe Claudel semble croire qu’on fait du cinéma avec des symboles et des mots plutôt qu’avec des images. (Oui, la scène du papillon…) Et pour cause, il n’y a pas un seul plan marquant dans Une enfance. Du coup, pour l’ambition, on repassera.
* Je tiens une liste à disposition pour la région Bourgogne.