Ce qui marque dans mes expériences avec le cinéma de Mikio Naruse, c'est cette capacité à conter le quotidien avec une vue sur l'Histoire en arrière-plan et le faire avec autant de sobriété que d'émotion.


Comme dans Nuages Flottants, on retrouve ici la thématique de la Seconde Guerre mondiale en arrière-plan, celle-ci aura rendu la protagoniste veuve et se dévouant, depuis, au service de sa belle-famille. S'il y a bien cette femme qui est dans la tourmente, on pourrait dire de même de son beau-frère, ainsi que des petits commerces, signe d'un Japon en pleine mutation. C'est là que l'oeuvre prend une ampleur particulière, son histoire s'inscrit dans un contexte fort, celui d'une modernité qui écrase tous ceux, ou presque, qui ne pourront pas vite s'adapter.


L'auteur jette un regard froid sur cette évolution, il le rappelle à de nombreuses reprises, que ce soit avec les publicités bruyantes des nouveaux supermarchés ou l'image d'une femme que l'on considère comme dépassée car elle reste traditionnelle. Il va même plus loin dès l'ouverture en montrant la vulgarité des représentants de ce nouveau modèle, n'hésitant pas à gâcher de la nourriture à des fins stupides, et rabaissant ceux qu'ils considèrent comme dépassés. Ce portrait sociologique est saisissant, parfois effrayant et renvoie aussi à des mœurs encore d'actualité, principalement celui du regard des autres, qui va jusqu'à directement influencer des destins et décisions de vies.


Au cœur de tout cela, il y a Reiko. Elle tente, tant bien que mal, de faire tourner le commerce de sa belle-famille, mais avec plaisir, ne considérant pas toutes ces années comme un sacrifice. Son quotidien va être bouleversé par Koji, son beau frère, d'abord par l'impression qu'elle a d'avoir participé à son éducation, les changements qu'il peut apporter au commerce mais surtout ses sentiments. S'il prend d'abord son temps pour filmer le quotidien, et il le fait merveilleusement, Naruse va donner à son oeuvre une dimension particulière une fois que les non dits seront révélés.


Pourtant, il n'y aura pas de bouleversement dans la forme, Naruse continue de filmer ce quotidien, joue avec les espaces, d'abord le commerce puis le train par la suite, mais aussi, et surtout, les regards, parfois les mots mais uniquement si cela est nécessaire. Il épure son film, dans le fond et la forme, et capte alors tous les sentiments ressortant des personnages. Par un simple regard, la sublime Hideko Takamine nous fait comprendre ce qu'est la gêne, les regrets, la détresse ou l'amour, et Yūzō Kayama parvient lui aussi à nous faire comprendre ce qui ressort de son personnage, bien que ce soit par une méthode plus directe.


Avec eux, Naruse va mettre un peu plus en arrière-plan l'aspect social, bien que toujours présent, et, sans tomber dans la dramatisation excessive, va en faire ressortir une émotion sincère et forte. Il met en scène des douleurs que l'on n'exprime pas et un amour qui ne se concrétise pas, ce qui est terrible et dont le contexte social joue beaucoup (la mère rappelant qu'elle imaginait les deux protagonistes comme frère et sœur, ce qui est bien tombé dans l'oreille de Reiko). Il est même primordial et elle le rappelle régulièrement, ne souhaitant pour rien au monde que l'idée que l'un aime l'autre soit connue.


De simples éléments participent à l'émotion qui prend une place de plus en plus forte, jusqu'à une terrible dernière partie. Il y a d'abord l'attachement pour les deux protagonistes, leur évolution aussi à l'image de Koji, d'abord vu comme un homme n'assumant pas ses responsabilités et immature. La construction du récit est à la fois simple et remarquable, il n'y a pas de grands bouleversements et lorsque l'équilibre se verra chambouler par la fin des non dits, les changements se feront discrètement. Enfin, Naruse se permet aussi de discrètes pointes d'humour et même une férocité à peine masquée, notamment envers les deux sœurs, symboles d'une certaine ingratitude subie par Reiko.


On retrouve dans Une femme dans la tourmente tout l'art de Mikio Naruse pour filmer le quotidien, l'évolution d'un pays et les émotions, qu'elles soient simples ou bouleversantes, avec une sobriété maîtrisée et une justesse permettant de dégager tout un panel de sensation, bien aidé, aussi, par deux remarquables comédiens dont Hideko Takamine.


Merci Kalo


Encore disponible via Arte jusqu'à la fin du mois -> ici

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le 12 août 2020

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