Au gré de la Modernité
Ce qui marque dans mes expériences avec le cinéma de Mikio Naruse, c'est cette capacité à conter le quotidien avec une vue sur l'Histoire en arrière-plan et le faire avec autant de sobriété que...
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Mon premier film de Mikio Naruse, qui invite à en revoir d'autres. Cet aspect sans concession de son cinéma est bien plus pessimiste que son contemporain Yasujiro Ozu, travaillant également sur les relations familiales et l'évolution des mœurs au Japon mais semble s'en rapprocher sur la nostalgie des valeurs, faisant osciller le ton entre nécessaire évolution et regrets des valeurs perdues.
Naruse opte pour plus de noirceur, de personnages peu attachants et bien peu d'humour. Il filme sans complaisance, les dialogues sont francs, l'ambiance morose et le cinéaste évite ainsi toute sensiblerie.
Un portrait de femme avec Reiko (Hideo Takamine), veuve de guerre qui tient un petit commerce et fait vivre la famille de son époux, entre abnégation et ingratitude, oubliant sa propre vie de femme. Pendant près de vingt ans Reiko aura permis aux membres de la famille de se reposer sur son dévouement. Elle se verra pourtant poussée vers la sortie et inviter à se remarier par les deux sœurs du défunt, personnages particulièrement bien brossés dans leur dangereuse inutilité, saisissant l'opportunité de faire du magasin un nouveau supermarché, y voyant une source de revenus facile, prête à laisser Reiko démunie. C'est sans compter Koji, beau-frère et amoureux, vivant une vie plutôt dissolue mais se révélant le plus moderne d'entre tous dans son oisiveté salvatrice. Un beau personnage sensible et excellemment joué par Yūzō Kayama.
Et un portrait du Japon en filigrane et les conséquences économiques avec l'émergence de supermarchés, pointant une population en demande. Naruse commence son intrigue avec ironie, mettant à jour l'égoïsme des nantis et la perplexité des commerçants s'interrogeant sur leur avenir. Mais il ponctue sans prévenir de drame de la concurrence, ou de peintures d'une population en pleine crise de consommation.
Ce sera également dans l'oscillation entre drame et légèreté que se situe la mise en scène du cinéaste. A la limite de la comédie, il nous surprendra constamment dans son déroulé, par un scénario sombre et implacable. Et même si il semble se détacher des sentiments pour traiter plus particulièrement son environnement, il saisi d'autant plus efficacement qu'elles sont rares les séquences de confrontation de deux protagonistes et la difficulté d'être dans toute son ampleur.
Un découpage plutôt abrupte, un mise en scène sans effet et une caméra s'attachant aux expressions et aux mouvements, appuient le drame à venir tout en nous laissant constamment dans l'expectative.
Reiko se réveillera lorsque Koji, finira par lui déclarer son amour et n'aura de cesse de pousser Reiko dans ses retranchements, de la mettre face à ses propres contradictions. Cette seconde partie plus romanesque ne manque par pour autant son but. Celui de permettre à Reiko de s'affranchir et de gagner une certaine liberté. Pas de grandes envolées, Naruse filme par petites touches les regards, les sentiments de frustration et les désirs inavoués.
Mais Reiko, dépassée par la situation, décidera de retourner dans son village natal pour tenter de refaire sa vie. Et Koji de décider par ruse, de l'accompagner...
Le cinéaste filme alors le couple en partance. Il abandonne son texte sociétal pour se concentrer sur la relation naissante. Un brin d'optimisme, de sourires et de semblant de liberté. Le rapprochement des deux personnages tout au long du voyage est un grand moment de subtilité et d'émotion et nous offre la plus belle séquence laissant entrevoir tous les possibles avant de nous diriger vers un final sans échappatoire rappelant la confrontation entre émancipation et poids des conventions. Une pure tragédie.
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Créée
le 21 nov. 2018
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