Une paysanne vivant au fin fond d’une région reculée de Russie va parcourir des centaines de kilomètres pour se lancer dans une lutte absurde contre l’administration de son pays après qu’un colis qu’elle a envoyé à son mari emprisonné lui ait été retourné. Autant dire qu’avec ce pitch et son étiquette de film de festival venu d’Europe de l’Est, voir Une Femme Douce se révèle être une expérience aussi joyeuse qu’un enterrement mais stimulante pour les cinéphiles téméraires.
Brûlot cannois classique pour brosser jurys et festivaliers dans le sens du poil ? Non car Sergei Loznitsa, cinéaste Ukrainien œuvrant principalement dans le documentaire, fait partie de ce type de réalisateur aussi exigeant que perché dont le cinéma ne cesse de diviser ses spectateurs. Son précèdent long métrage de fiction, « Dans La Brume » se composait de deux heures de longs, (très) lents mais beaux plans fixes picturaux véhiculant un propos aride sur la Seconde Guerre mondiale tout en s’essayant à la rêverie onirique le temps d’une scène.
Une Femme Douce reprend à peu de choses près le même dispositif, et ceci sans faire de concession au spectateur. Les quarante premières minutes, centrées sur l’exposition de la situation et le voyage de l’héroïne, laissent présager un calvaire tant son rythme lent et son intrigue qui semble faire du sur place nous font souffrir. Sensation contrebalancée par l’application dont fait preuve Loznitsa pour composer ses plans. Outre leurs inexorables beautés, certains choix de cadrage, lumière ou montage ont un sens. Une Femme Douce est une œuvre intéressante, la plupart du temps, grâce à sa réflexion en matière de mise en scène. Pas de quoi rassurer Jean-Michel spectateur lambda qui pestera au bout du deuxième plan (volontairement) mal découpé car Loznitsa voulait expérimenter de nouvelles choses.
Pourtant rassurez-vous, la deuxième partie consacrée à l’enquête est plus plaisante. Certes, on est loin d’un film hollywoodien mais la quête de la vérité de cette femme stoïque, interprétée brillamment par Vasilina Makovtseva, contre une administration opaque, intrigue. Le suspens tient le spectateur éveillé, la caméra de Loznitsa s’émancipe de son dispositif rigide le temps de quelques scènes et cinq minutes de fête peuplées de personnages excentriques viennent nous offrir un moment de répit au milieu de cette atmosphère désolée.
Reste au cinéaste ukrainien de conclure son histoire. Là, il nous entraîne dans une longue rêverie onirique assez grossière. De par le jeu d’acteurs hystériques de la plupart du casting présent, les longs monologues rébarbatifs, la lumière bleutée saturée, le craquage complet de la directrice artistique et ses dernières minutes un brin gratuites, on a l’impression que le film s’engouffre dans le nanar. Que nenni, il soigne sa conclusion pour ceux qui auront le bagage suffisant pour déchiffrer les nombreuses références issues de la culture russe présentes à l’écran ou/et l’envie de s’investir dans son film. Ceux qui y seront sensibles y verront un portrait virulent de la Russie actuelle.
Pour cette raison, je ne peux conseiller Une Femme Douce qu’aux spectateurs russophiles ou amateurs de films d’auteurs lents mais singuliers. Mais si vous êtes dans l’un de ces deux cas, faites comme moi : foncez ça vaut le coup d’œil.
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