L’ukrainien Loznitsa, apparemment reconnu pour le documentaire, réitère ici dans la fiction, autour d’un des nombreux portraits de l’Europe de l’Est qui a bien déprimé la Croisette en 2017.
Le procédé est réfléchi, et réglé au cordeau : une femme rejoint la prison éloignée où séjourne son mari pour lui transmettre un colis qui lui a été renvoyé par la poste. L’absurdité bureaucratique (on ne saura jamais pour quelle raison on refuse, à répétition, son colis) et administrative d’un pays trop vaste et résolument kafkaïen est la première charge du réalisateur : la Russie est une machine absurde qui broie les individus, et fait de la mort du peuple son principal carburant.
Se met donc en place un road movie organisé comme une odyssée du pire, permettant un regard transversal sur toutes les oppressions, les aliénations et les dérives par lesquelles se dissolvent les individus.
La mise en scène s’organise autour d’un système lui-même aussi strict et figé que semblent l’être les instances dirigeantes. De lourds blocs en plans-séquences, lieux de transit ou transitoires, noient la frêle épouse dans un large tableau encombré de personnages secondaires qui vont tour à tour prendre la parole pour alimenter le tableau à charge d’un pays en pleine déconfiture. Dans un bus, un compartiment, la salle d’attente de la prison, un bar mal famé, une voiture, la cohorte des individus va décliner dans un catalogue infini les divers symptômes d’une gangrène généralisée. Rien ne nous sera épargné, de la guerre à la corruption, en passant par la prostitution, le crime organisé ou l’univers carcéral, le tout, comme il se doit, sous des tombereaux de vodka.
Dans cette approche désabusée, voire cynique, tout le monde contribue à l’empire du mal : si quelqu’un vous propose de l’aide, c’est pour mieux vous arnaquer, et les policiers sont bien entendu les plus à craindre.
L’étouffement est indéniablement efficace, d’autant qu’il se déroule sur plus de 2h30, et l’on ne peut nier le travail d’écriture allié à la maitrise du cadre.
On est tout de même en droit de s’interroger sur la posture adoptée par le réalisateur, qui semble prendre un malin plaisir à aligner les horreurs comme des perles, et fait de sa protagoniste une sorte de poupée de chiffon prête à suivre passivement le premier venu qui l’entrainera plus bas encore.
Alors que le doute commence à s’installer sur les velléités du cinéaste de nous prendre en otage dans son odyssée nihiliste, l’interminable épilogue achève de nous en convaincre.
Banquet baroque et délirant, aux vagues allures d’un délire lynchien, il convie toutes les élites et participants aux séquences précédentes pour un discours programmatique dystopique aussi long qu’excessif. La fable politique semble désormais achevée, non sans lourdeur ; mais c’est sans compter sur l’ardeur de Loznitsa en matière de cruauté, qui joue les prolongations sur un viol collectif aussi gratuit qu’éprouvant.
Pourquoi ?, serait-on tenté de se demander, sentiment qui prend tout son sens lorsqu’il nous impose la pirouette éculée du rêve pour clore tout ce délire.
À l’empathie et la douleur ressentie pour ces êtres succède ainsi l’irritation, puis la colère franche. Évoquer la souffrance n’est pas un passe-droit pour se complaire dans un jeu sadique et gratuit imposé au spectateur.