Une femme douce par Maqroll
Un film de Bresson est toujours une expérience qui nécessite du spectateur une immersion dans un monde à part. Une femme douce ne fait pas exception puisqu’ici, l’immersion est instantanée avec le suicide inaugural de la jeune femme dont le parcours va ensuite être rapporté durant toute la suite du film par le mari devant la servante impassible. C’est une lente évolution à l’intérieur d’un couple formé de manière artificielle et qui n’en sera en fait jamais un ailleurs que dans les rapports charnels. Plus d’une fois, on peut faire le constat que Pialat sera un peu plus tard l’héritier direct de Bresson dans sa manière de filmer sans concession la dureté terrible de l’être humain en même temps que sa solitude désespérée. Le travail de réalisation est remarquable, chaque plan en témoignant. Les rapports de l’image et du son sont exemplaires dans cette œuvre forte, l’image étant sans cesse complémentaire et éclairant les dialogues secs et comme désaffectivés. J’ai écrit « comme » car bien sûr, le feu couve sous la glace. Si les personnages semblent ne rien exprimer, c’est en raison d’une trop grande passion qui les brûle de l’intérieur, celle du sexe, de l’amour, de la vie. Dans le rôle principal, Dominique Sanda, alors âgée de dix-huit ans (soit à peu près l’âge de son personnage) et totalement débutante, est magnifique de justesse et d’expressivité, justement. Le mari est interprété par Guy Frangin, comédien non professionnel qui est dirigé de main de maître par un des cinéastes les plus purs et les plus intransigeants du cinéma mondial de tous les temps (en dehors de Pialat, on ne voit guère qu’Ozu qui puisse se rapporter à cette catégorie). Un film difficile, éprouvant, dont on sort avec quelque chose en plus au niveau de la réflexion cinématographique.