Un film de Bresson est toujours une expérience qui nécessite du spectateur une immersion dans un monde à part. Une femme douce ne fait pas exception puisqu’ici, l’immersion est instantanée avec le suicide inaugural de la jeune femme dont le parcours va ensuite être rapporté durant toute la suite du film par le mari devant la servante impassible. C’est une lente évolution à l’intérieur d’un couple formé de manière artificielle et qui n’en sera en fait jamais un ailleurs que dans les rapports charnels. Plus d’une fois, on peut faire le constat que Pialat sera un peu plus tard l’héritier direct de Bresson dans sa manière de filmer sans concession la dureté terrible de l’être humain en même temps que sa solitude désespérée. Le travail de réalisation est remarquable, chaque plan en témoignant. Les rapports de l’image et du son sont exemplaires dans cette œuvre forte, l’image étant sans cesse complémentaire et éclairant les dialogues secs et comme désaffectivés. J’ai écrit « comme » car bien sûr, le feu couve sous la glace. Si les personnages semblent ne rien exprimer, c’est en raison d’une trop grande passion qui les brûle de l’intérieur, celle du sexe, de l’amour, de la vie. Dans le rôle principal, Dominique Sanda, alors âgée de dix-huit ans (soit à peu près l’âge de son personnage) et totalement débutante, est magnifique de justesse et d’expressivité, justement. Le mari est interprété par Guy Frangin, comédien non professionnel qui est dirigé de main de maître par un des cinéastes les plus purs et les plus intransigeants du cinéma mondial de tous les temps (en dehors de Pialat, on ne voit guère qu’Ozu qui puisse se rapporter à cette catégorie). Un film difficile, éprouvant, dont on sort avec quelque chose en plus au niveau de la réflexion cinématographique.
Maqroll
9
Écrit par

Créée

le 18 mars 2014

Critique lue 601 fois

2 j'aime

2 commentaires

Maqroll

Écrit par

Critique lue 601 fois

2
2

D'autres avis sur Une femme douce

Une femme douce
Plume231
4

Quand le spectateur est aussi insensible devant un Bresson qu'un acteur bressonien !!!

Avec le style très très particulier de Robert Bresson, avec moi soit ça passe totalement et on peut crier avec enthousiasme au grand film voir même au chef d'oeuvre ("Un Condamné à mort s'est...

le 21 janv. 2014

4 j'aime

5

Une femme douce
Maqroll
9

Critique de Une femme douce par Maqroll

Un film de Bresson est toujours une expérience qui nécessite du spectateur une immersion dans un monde à part. Une femme douce ne fait pas exception puisqu’ici, l’immersion est instantanée avec le...

le 18 mars 2014

2 j'aime

2

Une femme douce
stebbins
7

Une certaine idée du modèle

Un cinéma de l'aridité et des émotions enfouies, en somme un cinéma de pur cinéma, à savoir un Septième Art rejetant toute forme de dramaturgie théâtrale, un Septième Art du non-acteur et du modèle...

le 20 sept. 2015

1 j'aime

Du même critique

Little Odessa
Maqroll
9

Critique de Little Odessa par Maqroll

Premier film de James Gray, l'un des génies incontestables du cinéma actuel, où déjà l'essentiel est en place. Un scénario, d'une solidité qui force l'admiration, rapporte une histoire tragique...

le 1 oct. 2010

20 j'aime

1

Babel
Maqroll
5

Critique de Babel par Maqroll

Une quadruple histoire dont on démêle peu à peu les intrications, qui constituent une espèce de fresque sur les difficultés des êtres humains à parler entre eux. Malheureusement, ce film rempli de...

le 17 juil. 2013

18 j'aime

2

L'Émigrant
Maqroll
10

Critique de L'Émigrant par Maqroll

Attention, chef d’œuvre absolu. Chaplin s’attaque ici au mythe des mythes, l’arrivée des immigrants aux États-Unis (via Ellis Island) et la voie ouverte à tous les rêves… La traversée de l’Atlantique...

le 10 juil. 2013

17 j'aime

3