Un cinéma de l'aridité et des émotions enfouies, en somme un cinéma de pur cinéma, à savoir un Septième Art rejetant toute forme de dramaturgie théâtrale, un Septième Art du non-acteur et du modèle filmé ; un cinéma exclusivement composé de gestes et de plans surcadrés, processus agencé sous le signe d'un regard en fuite et - pour être plus précis - visuellement centrifuge. Voilà ce que représente Une femme douce, premier film en couleurs de Robert Bresson que le cinéaste réalisa en 1969 d'après une nouvelle de Dostoïevski. Une oeuvre pour le moins exigeante et sévère avec son spectateur, volontairement plombante dans sa monotonie dramatique et par conséquent légèrement soporifique mais qui fonctionne pourtant sur la longueur, du fait de la profondeur de son sujet. Une femme douce, film austère et chagrin, fascine autant qu'il déconcerte.
Le film semble a priori dénué de toute puissance émotionnelle, en raison du jeu monolithique de ses interprètes et d'un rythme assez laborieux. Pire : il s'agit d'un drame sans rebondissements majeurs ou significatifs. Si l'ouverture en est le climax ( la femme se suicide ), la suite consiste en une alternance de séquences anti-dramatiques où nous assistons d'une part aux questionnements du mari s'adressant à son épouse défunte et d'autre part aux évènements heureux de leur passé conjugal. Il semblerait que Robert Bresson ait toujours voulu privilégier la profondeur à la surface, la sobriété à l'emphase... Chez lui l'émotion passe par la musicalité et la précision de sa réalisation, par de nombreux encadrements nullement fortuits et par le réalisme de la bande-son ( qui suggère généralement l'ennui des personnages et leur misère existentielle, dans leur intérieur bourgeois silencieux bercé par le bruit environnant du trafic parisien ).
Une femme douce est une oeuvre qui n'a finalement que très peu recours à la psychologie, puisque le spectateur doit visiblement s'en tenir à ce qu'il voit et à ce qu'il entend. Le suicide inaugurant et clôturant le métrage n'est jamais accompagné d'une forme quelconque d'explication, d'autant plus que le film traite également de l'incommunicabilité du couple. Certes Une femme douce ennuie parfois mais il reste d'une grande richesse dans son contenu, partageant des points communs avec Le Feu follet de Louis Malle et préfigurant le cinéma clinique de Michael Haneke. Une oeuvre intéressante et troublante.