Magistral. Magistral parce que c'est poignant, parce que ça prend aux tripes, parce que ça déstabilise complètement, parce que Gena Rowlands nous met mal à l'aise, on a de la peine, on souffre, on l'adore, on la méprise aussi, parfois. C'est très oppressant, c'est merveilleusement bien filmé, sans cesse à l'extrême limite de la rupture. Le fait de composer un film avec très peu de scènes mais de les étirer donne l'impression que c'est un parcours épineux sans fin, sans échappatoire, une éternelle conjoncture en suspension. L'improvisation a une grande part dans sa prestation. Le tout filmé avec une simplicité très ambiguë, où la frontière entre le réel et la fiction est souvent plus ténue qu'on ne pourrait le penser. Il y a toujours cet étourdissement qui vient assommer sur la longueur les personnages, par un enchaînement de mouvements lents, de plans séquences, le spectateur est complice sans être voyeur, jamais on ne se sent pris en otage, on participe passivement à leurs tourments. Le regard parfois insupportable des autres devient le notre. On partage avec son mari le poids des gens.
Je t'ai toujours compris, et tu m'as toujours comprise. Ca a toujours été... comme ça, et c'est tout. "Jusqu'à la mort", tu l'as dit. Rappelle-toi : "Acceptez-vous de prendre pour époux... ?" "Oui. Je le veux, Nick !" Et j'ai dit : "Ca marchera car je suis déjà enceinte..." Et comme tu as ri... Tu as ri ! Tu ne te rappelles pas ? Ne sois pas triste... Je sais que tu m'aimes.
Peter Falk est glaçant, tantôt épris d'un amour ardent, infaillible, envers et contre tout, tous, tantôt colérique jusqu'aux sommets, au point de faire l'impasse sur la bonne éducation de leurs enfants, au point d'être souvent dans un état de non-retour total. Il y a un vrai petit théâtre de la vie, où tous les personnages ont un regard différent sur Mabel, où tous la jugent, peu importe la manière. La folie représentée avec autant de pertinence et de subtilité, c'est très rare. Un portrait de femme en perdition, un portrait d'amour, surtout, entre deux êtres aux antipodes qui entretiennent leur flamme au-delà des mots, au-delà du sens même du mot amour. C'est une tragédie douce-amer qui fait écho en chacun de nous. Une complicité fusionnelle qui s'inscrit dans les gestes, les détails, dans tout, c'est un film qui montre tout, qui ne censure rien, qui ne juge jamais. Nul n'est irréprochable, nul n'est indemne.
Je suis là. Rien de ce que tu fais n'est mal. Rien n'est mal. Je veux juste que tu sois toi-même. C'est chez toi. Les autres, on s'en fout ! On les emmerde ! Sois toi-même. Sois toi-même ! Allez... Je t'aime. Allez...
Si Une femme sous influence arrive à transfigurer la passion pour en faire leur moteur, c'est aussi grâce à cette sacralisation de la parole qui terrifie Mabel ou, au contraire, la pousse à devenir, pour elle, meilleure. Oppressée par son compagnon car elle n'est plus assez elle-même, raillée par les autres car elle est trop elle-même, Mabel a énormément de mal à trouver sa place et doit sans cesse réapprendre les codes d'un nouveau langage qu'elle n'arrive pas à maîtriser. Engoncée dans l'image que les autres lui reflètent, ses bases sont toujours incertaines, mouvantes, irrecevables, inaudibles, invisibles, comme cette fabuleuse scène où ils sont tous les deux dans l'obscurité, comme deux ombres hors du temps, qui ne subsistent que grâce à l'autre. Au sommet du désarroi.
John Cassavetes, ce héros !