J'ai longtemps fantasmé sur "Une fille dans chaque port", la faute au titre j'imagine (d'ailleurs, c'est quoi ce machin saugrenu qui en tient lieu ici ?!...) qui fleure bon le marin en goguette et les donzelles affriolantes, la faute à Hawks, bien sûr qui sait déjà comme personne raconter les amitiés masculines et la faute à Louise Brooks enfin, puisque c'est un peu avec ce rôle de vamp aussi éblouissant que tardif que la belle a commencé à se faire un nom de ce côté de l'océan.

Alors, forcément, quand on me propose une séance spéciale avec accompagnement musical en direct je craque, d'ailleurs je n'ai jamais vu de Hawks muet, un scandale, et tant pis si je suis tellement excité que j'en oublie de découvrir la jeune Hélice, hélas, qui se cache sournoisement au second rang au beau milieu des vieux barbons érotomanes abonnés à la cinémathèque, de toutes façons il y a foule, salle comble, avec des gosses en vrai, des familles, des gens normaux, comme une parenthèse civilisée éphémère ce qui est plutôt chouette comme tout.

Victor McLaglen, le vieux troglodyte obèse et merveilleux des vieux Ford est encore fringant et presque svelte, enfin, ça reste une énorme brutasse qui fait un peu peur quand il essaie de sourire et dont l'activité principale est de massacrer le plus possible de policiers autochtones dans les bars de ses ports d'attache, mais bon, à part ça, il porte délicieusement la vareuse et donne de furieuses envies d'embruns et de torrides brunettes exotiques.

Mais surtout, et c'est tellement impossible que j'ai cru être victime d'une hallucination jusqu'à ce que Gizmo m'avoue après séance qu'elle pouvait bien être collective, Victor McLaglen est ici le sosie de Gary Cooper.

Oui, vous ne rêvez pas, le primate frustre et le magnifique étalon racé dans la même phrase, côte à côte, en comparaison, je sais, je blasphème à tout va, c'est l'émotion... Et pourtant...

Et pourtant, d'un certain angle de trois quart c'est renversant, c'est comme si Gary, surtout à ses débuts avait recopié tous les petits tics d'acteur de Victor dans ce film, les plissement au coin des yeux, le sourire forcé un peu niais, le pétillement sous les sourcils...

Du coup, face à une révélation aussi bouleversante et à une nature aussi généreuse, Robert Amstrong fait un peu pâle figure en comparse, surtout en Don Juan irrésistible, mais bon, que leur duo est savoureux, que leurs torgnoles sont douces, on en oublierait presque les créatures de rêve qui pullulent autour d'eux, tiens, j'ai même raté Myrna Loy non créditée comme jeune fille en Chine, je ne me souviens même pas qu'ils passaient en Chine de toute façon...

Et puis, à un moment Louise arrive, c'est toujours aussi incompréhensible de voir à quel point la caméra l'aime à en perdre la raison, comme nous, la pellicule s'illumine, il n'y a plus qu'une frange noire et des yeux brûlants, on oublie le rôle un peu ingrat qui ne la mérite pas, on frémit à chaque petite secousse de ses adorables petits genoux sous sa robe légère et ses poignets deviennent beaucoup trop pornographiques pour les colifichets disgracieux qui les entravent. Comme une évidence, Louise deviendra quelqu'un même en fuyant dès l'année suivante les studios qui passent au parlant de toutes façons, son destin l'attend en Europe, Pabst essaie justement d'adapter Frank Wedekind, quand elle aura fini de jouer les tramp pour Wellman, gageons qu'on arrivera à lui caser un petit rôle derrière tout ça...

Créée

le 26 avr. 2014

Critique lue 797 fois

14 j'aime

10 commentaires

Torpenn

Écrit par

Critique lue 797 fois

14
10

D'autres avis sur Une fille dans chaque port

Une fille dans chaque port
Torpenn
8

Cooper de tête

J'ai longtemps fantasmé sur "Une fille dans chaque port", la faute au titre j'imagine (d'ailleurs, c'est quoi ce machin saugrenu qui en tient lieu ici ?!...) qui fleure bon le marin en goguette et...

le 26 avr. 2014

14 j'aime

10

Une fille dans chaque port
Cinephile-doux
7

Amitié virile

Cinquième film de Hawks, l'un de ses derniers muets. Typiquement hawksien avec une amitié virile, des bagarres et une alcoolisation sans modération. Victor McLaglen impose son personnage de grand...

le 27 sept. 2019

Du même critique

Into the Wild
Torpenn
5

Itinéraire d'un enfant gâté

A 22 ans, notre héros, qui a feuilleté deux lignes de Thoreau et trois pages de Jack London, abandonne sans un mot sa famille après son diplôme et va vivre deux années d'errance avant de crever comme...

le 17 nov. 2012

471 j'aime

181

Django Unchained
Torpenn
4

Esclavage de cerveau

Aussi improbable que cela puisse apparaître à mes lecteurs les plus obtus, j’aime bien Tarantino, je trouve qu’il arrive très bien à mettre en scène ses histoires, qu’il épice agréablement ces...

le 22 janv. 2013

395 j'aime

174

Le Parrain
Torpenn
10

Le festival de Caan...

Tout a déjà été dit sur ce film, un des plus grands jamais réalisé. Tout le monde a vanté, un jour son casting impeccable : un Brando ressuscité, un Pacino naissant, bien loin de ses tics...

le 6 janv. 2011

366 j'aime

131