Quand on trouve un film affligeant, il est toujours sain de se demander s’il l’on n’est pas passé à côté de quelque chose. Une fille facile a reçu un accueil assez favorable à Cannes visiblement, d’après ce que j’ai pu lire ou entendre les jours qui suivaient sa projection. L’ambiance, lors de la projection en soirée, était extatique, et toute l’équipe du Portrait de la Jeune fille en feu et Bertrand Bonello himself étaient dans la salle. J’aurais adoré en parler avec eux à la fin, peut-être m’auraient-ils éclairé.
Une fille facile surfe déjà sur un buzz peu aimable, celui d’aller chercher une jeune fille ayant défrayé la chronique dans des affaires de mœurs (prostitution de mineure offerte à l’anniversaire d’un footballer, donc) et d’en faire une sorte d’icône libertaire qui feraient s’effondrer les barrières de la bien-pensance pour un éloge ( ?) de la femme en pleine possession de ses moyens, à savoir les couilles et les portefeuilles des blindos dans leur yachts.
Le récit est celui, traditionnel, d’un été d’adolescente à Cannes, qui voit arriver sa cousine de la capitale, sortie tout droit d’un épisode de télé réalité et lui montrant que oui, on peut vivre de superbes vacances pour peu qu’on escorte des mâles millionnaires en mal de compagnie.
Le film est évidemment loin d’être totalement stupide : le fait de le montrer à travers le point de vue de l’adolescente lui donne une certaine fraîcheur qui est assumée, de la même manière qu’un nombre conséquent de séquences viennent remettre les pendules à l’heure de cette lutte sociale, comme lorsqu’un membre du staff insulte les jeunes squatteuses, la manière dont le riche cynique parvient à se débarrasser d’elles ou encore le regard condescendant et tout en sourire d’une concurrente (Clotilde Courau, très convaincante).
Le propos est lisible, et à la simplicité revendiquée : Zahia trimbale sa sensualité explicite et prend la vie comme elle vient, désarmante de spontanéité et, si on peut lui opposer le mépris, celui-ci n’est jamais possible sans la complicité libidineuse inéluctable de ceux qui transitent autour d’elle. Ainsi de cette scène dans la crique où deux gros lourdauds viennent chauffeur la pin-up qui les prend à leur propre jeu, revanche claire pour toutes les jeunes filles victimes du harcèlement de rue.
Mais tout cela reste d’une confondante vanité. Zahia a beau reprendre la diction de Bardot pour s’inscrire dans une tradition, nous rejouant une version télé réalité du Mépris, (c’est désormais elle qui s’occupe du fessier allongé du mâle dominé) le film a beau se présenter comme aussi culotté que son actrice en est dénuée, nous gratifiant de rêves érotiques impliquant oursins et onanismes ou de dissertations sur Marguerite Duras, le mystère féminin reste ici bien clinquant et siliconé, même s’il est visiblement à prendre comme une force vive qui serait à même de contrer le monde phallocrate dans lequel il est contraint d’évoluer. Dans ce cas, on aura soin de fustiger non pas la femme à l’écran, ni celle aux commandes, mais bien ce monde de cons, de riches et d’oisifs qui ne sont pas en mesure de nous apprendre quoi que ce soit de transcendant sur la nature humaine.