Une histoire d'amour par Patrick Braganti
Le premier film de la comédienne Hélène Fillières annonce ses limites dès l'ouverture. Un des personnages en voix off déclare que "les histoires d'amour sont des planètes privées qui se volatilisent lorsque les personnes disparaissent", ce qui a pour effet de mettre d'emblée le spectateur à l'écart. Partant de ce postulat qui, au fond, s'avère plein de bon sens, la question tombe aussitôt : à quoi bon un tel film, et comment peut-il bien nous intéresser, mieux nous toucher ? Dégraissé globalement de toute psychologie - à part quelques incursions peu intéressantes où surgit la figure paternelle honnie - le film parie avant tout sur sa forme froide et clinique et sur l'interprétation remarquable de son trio de comédiens. Les lignes de fracture et de brisure découpent des cadres très construits comme la position des personnages en atteste, tout comme l'importance donnée aux tonalités noires et blanches. Le film, sorte de poème noir vénéneux et addictif, réfute également la volonté de réalisme et la recherche d'explications, le plaçant dès lors dans le registre de l'atmosphérique et du sensoriel. Pour une fois, les quelques séquences sadomasochistes ne sombrent pas dans la caricature ou le grand-guignol, car assurément ce n'est pas le rituel qui intéresse Hélène Fillières, mais davantage ce qu'il révèle des processus de jouissance et de plaisir qui peuvent interagir dans un couple. Le rapport étrange et inquiétant qui se tisse entre le richissime banquier et sa maitresse, elle-même en ménage avec un compagnon informé de sa liaison, décline en effet les motifs de la domination et de la soumission avec une inversion permanente des rôles. Dans l'exposition des pratiques sexuelles et des relations complexes où l'amour semble curieusement absent pour un regard extérieur, il n'y a rien ici de bien nouveau. Néanmoins, parce qu'il parvient à rester énigmatique et à nous faire pénétrer dans un monde d'ultra richesse doublée de l'ivresse du pouvoir, le film captive, jouant du montage et de la musique signée par Étienne Daho qui contribue beaucoup, dans sa progression tonale, à habiller élégamment un premier long-métrage qui ne manque pas de qualités. C'est déjà un beau défi de s'éloigner des habituelles sphères de l'autobiographie pour justement explorer un univers inconnu, comportant indéniablement sa part d'attractivité. Une Histoire d'amour ne provoque pas l'ennui ni la gêne, et réussit plutôt subtilement à nous faire entrer au cœur d'une histoire à laquelle il ne nous serait pas normalement autorisé d'accéder. Enfin, avec le personnage dans l'avion, se développe aussi l'idée qu'on ne connait jamais vraiment les personnes, aussi bien celles qui partagent nos vies que celles rencontrées de façon fortuite et éphémère et sur lesquelles il est tentant d'échafauder maints fantasmes.