Eric Dupond-Moretti fait partie de ces avocats internationalement admirés, qui deviennent une véritable référence dans leur métier : mais ce qui caractérise Dupond-Moretti, au-delà de sa connaissance parfaite du Droit et de ses analyses créatives mais rigoureuses, c’est son utilisation brillante – et implacable - de la présomption d’innocence, pierre de touche de la Justice… souvent malmenée dans les faits. La grande intelligence du film remarquable d’Antoine Raimbault, ce n’est pas seulement de confier le rôle de Dupond-Moretti au génial Olivier Gourmet, qui ajoute ici un nouveau personnage inoubliable à son extraordinaire filmographie, mais aussi de faire de "Une Intime Conviction" une démonstration parfaite de la force de ce principe… quitte à tendre au spectateur, qui ne s’y attend pas forcément, un piège particulièrement malin.
Ce piège prend la forme du seul personnage de fiction de ce film - consacré au Procès d’Assises de la célèbre affaire Viguier, avec son coupable parfait, haïssable et cloué au pilori par la rumeur et par la presse : solidement incarnée par Marina Foïs, Nora porte cette fameuse « intime conviction », qui va la conduire à une plongée de plus en plus radicale, puis autodestructrice, dans le fameux procès. La conviction du personnage, la manière obstinée dont elle travaille sur les enregistrements téléphoniques mis pour la première fois à la disposition de la défense de Viguier, vont naturellement conduire le spectateur, emporté par l’énergie du film, narré et monté « à l’américaine » (c’est d’ailleurs le seul reproche objectif qu’on puisse lui faire…), à s’identifier à elle et à adhérer à ses croyances, à vouloir forcément trouver le « coupable », comme dans « un roman policier » (c’est d’ailleurs le commentaire ironique que lui fait Dupont-Moretti). Souhaitant de toutes ces forces assister à un thriller jouissif, construit sur la découverte d’indices nouveaux, sur des coups de théâtre tonitruants, etc. etc., le spectateur s’éloigne de plus en plus lui aussi des principes de la véritable Justice : comme le dit magistralement Dupond-Moretti dans sa plaidoirie finale, sommet logique du film, nous voulons « juger, pas rendre la Justice ». Et comme Nora qui assiste interloquée à la démonstration de l’impasse dans laquelle elle s’est fourvoyée, nous nous réveillons avec la gueule de bois : nous ne saurons pas la Vérité – sans doute ne la saurons-nous jamais -, mais Justice aura été rendue.
Le thriller palpitant qui nous a cloué sur nos sièges, le film de procès emblématique qui nous a enthousiasmé (et en particulier cette terrible scène de l’audition de la baby-sitter…), tout cela n’était que faux-semblants. Des baudruches qui se dégonflent lamentablement… Mais nous avons compris, un peu mieux au moins, ce qu’est la Justice. Merci à Eric Dupond-Moretti de la défendre aussi bien. Merci à Gourmet, Foïs et Raimbault d’avoir fait un film aussi intelligent sur un sujet aussi… théorique, mais fondamental.
[Critique écrite en 2019]
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