La chronique judiciaire, le cinéma français commence à plutôt bien connaître son affaire.
Justement, L'Affaire SK1, en 2015, avait remis le genre au goût du jour en sondant les milieux proches des enquêteurs, des avocats et du procès de son insoutenable figure du mal.
Une Intime Conviction réduit aujourd'hui le spectre de son investigation, en collant aux basques de Nora, personnage totalement fictif dans la réalité de l'affaire, qu'Antoine Raimbault fond dans une vraisemblance de tous les instants.
Ainsi, même goût pour l'abnégation, même vie privée mise entre parenthèse qui se heurte à l'enquête, le film évolue pendant très longtemps tambour battant, au rythme d'une BO percutante et peu commune, et du déroulé des écoutes téléphoniques versées au dossier, objet d'un véritable travail de titan de la part de la jeune femme. Qui se heurte tout d'abord à la figure de l'ogre Dupond-Moretti, avocat plus grand que nature, volontiers grande gueule bourrine et rentre dans le lard.
L'angle d'attaque du réalisateur pour appréhender l'affaire Viguier, jamais résolue, dépasse de loin le titre choisi. Certes, Une Intime Conviction pourra naître dans l'esprit de chaque spectateur. Mais l'oeuvre ne se borne pas uniquement à prouver l'innocence ou la culpabilité de Viguier, incarné par un Laurent Lucas abonné aux rôles de type renfermé tout en zones de gris.
Elle fait en effet affleurer dans le coeur du public le fait que la justice ne représente qu'un théâtre bien fragile. Sous influence d'un amant qui n'hésite pas à manipuler les témoins pour alourdir les charges contre son rival. Sous la dépendance d'une enquête menée presque exclusivement à charge par des représentants de l'ordre qui ne font, justement, que le représenter.
Cette justice rendue au nom du peuple français, c'est aussi toute la fragilité d'un témoignage, changeant, dual, ponctué de silences infinis, variant au fil du temps, des certitudes et des convictions de celui qui dit "je le jure" avant de prendre la parole. Et aussi la certitude aveugle de ces magistrats, inflexibles, qui ne sont jamais en proie au doute.
Une Intime Conviction, c'est cette héroïne opiniâtre de l'ombre traquant sa vérité, se confondant peu à peu avec son ennemi intime triomphant et sûr de lui. Une Intime Conviction, c'est aussi, finalement, l'histoire d'une ombre qui n'apparaîtra que dans la dernière partie du film, dont la voix, portée sur la bande magnétique, fomente, s'inquiète, jure la perte de son rival et instrumentalise la rumeur et la police, opposée à un coupable idéal dont l'attitude renforce les aveux de son indifférence et de sa froideur, dans le cadre d'une machine judiciaire dont on se félicite mais qui a pourtant bien du mal à retirer le bandeau qui couvre ses yeux.
Passionnant, alerte, déjouant presque systématiquement les pièges tendus par le genre de la chronique judiciaire plan-plan, Une Intime Conviction ne perdra son cap qu'à l'occasion d'une plaidoirie ralentissant son rythme effréné et alourdissant inutilement son propos, ne fournissant à un Olivier Gourmet gourmand que l'occasion de s'illustrer un peu plus encore.
Dommage que cette issue cède quelque peu à la facilité, tant cette Intime Conviction tutoyait pourtant, une heure quarante durant, le virtuose.
Behind_the_Mask, qui se demande ce qui se cache sous la robe des magistrats.