La réussite d’un film de procès se doit généralement à une règle d’écriture très simple : ajouter, à la trame officielle de la procédure, un sous-texte qui vient soit la chambouler, soit l’enrichir en secret. Quoi qu’il en soit, il faut adjoindre à la machine judiciaire un lubrifiant nouveau, voire corrosif, qui permettra au spectateur de se sentir dans une posture supérieure à celle des jurés.
Une intime conviction repose tout entier sur ce principe, et substitue à l’intrigue officielle un remue-ménage des coulisses tout à fait passionnant. Et pour cause : dans ce fameux procès de la réelle affaire Viguier, le prévenu brille par son mutisme. Laurent Lucas incarne à la perfection cette absence apeurée, ravagée par la dépression et incapable de prendre en charge sa propre défense. En contrepoint, le personnage incarné par Marina Foïs qui se lance corps et âme dans la bataille, bien décidée à palier son apathie. L’actrice, qui n’en est pas à son coup d’essai lorsqu’il s’agit de prouver que sa palette excède largement la comédie, excelle dans cette quête presque maladive qui la conduit à influer sur le cours du procès tout en restant en permanence dans l’ombre. Son travail consiste à absorber les informations, au fil de séquences d’écoute intelligemment rendues en ce qu’elles excitent le spectateur par l’aspect voyeuriste et intrusif, tout en maintenant le personnage de l’auditrice dans une passivité contrainte et qui phagocyte toute autre activité. De la même manière, le réalisateur insiste beaucoup sur sa place assise au procès, banale au point de devoir se contente par moments d’une salle annexe face à un téléviseur.
Car c’est là toute l’ambiguïté de sa posture. Nora n’a pas l’impartialité requise, et de ce fait, pourrait transformer le terreau qu’elle ausculte en fiction : la satisfaction du spectateur en est d’autant plus accrue qu’il gagne sur les deux tableaux : celui de voir ce procès en appel renouvelé par un coup de théâtre, ou d’assister à la dérive mégalomane d’une personne qui s’improvise un peu trop vite comme la sauveuse d’un homme qui ne lui a rien demandé.
Face à elle, un autre monstre, Olivier Gourmet en Dupont Moretti, lui oppose des leçons de pragmatisme et un regard brutal. Le film repose tout entier sur ce duo à forces inégales, splendidement interprété de part et d’autre, un lien de maitre à esclave où la raison froidement calculée l’emporte sur la passion, tout en l’exploitant.
Ce récit à géométrie variable (le travail de Nora / les écoutes et ce qu’elles révèlent / le procès en cours / le point de vue de l’avocat) se construit sur le fil et navigue avec une aisance remarquable, dénuée de tout temps mort. On peut trouver certes un peu à redire sur la manière dont la dérive de Nora devient un peu surlignée sur la fin, avec une conjonction catastrophique des événements plutôt dispensable. Mais cela reste une parenthèse dans un récit qui, sur son épilogue, refait la part belle à son rôle de collaboratrice secrète prête à mendier, dans la lumière, quelques miettes de gratitude : dans ce dénouement, toujours supérieur au jury, le spectateur y aura surtout gagné en empathie pour les invisibles.