Jouez toujours comme si vous jouiez pour la dernière fois.
En préambule, je dois vous avouer deux choses :
- La première, c’est que je ne suis pas allé voir le film particulièrement de gaieté de coeur ; il faut dire que le titre ne m’évoquait rien de particulier, que je n’avais pas daigné voir la bande d’annonce de peur d’être spoilé, pas plus que je ne me suis intéressé aux critiques de notre charmante communauté, car l’on a vite fait d’introduire quelque biais dans son opinion, surtout si l’on s’en fie à l’argumentation de Jean Yves du 93 :
J’ai bien aimé, mais ça manquait de tétons 2/10.
- La deuxième c’est que j’ai envie de vous baffer, tous autant que vous êtes. Bien sûr il s’agirait de baffes tendres assénées d’une main d’enfant ; dans l’espoir de chambouler votre mécanique interne détraquée à force d’analyses techniques primant toujours plus sur ce qui, selon moi, fait le cinéma : l’émotion, le ressenti. Bien sûr, je suis un gentil despote, vous avez le droit de ne pas aimer, mais à trop prêter d’intentions métaphysiques à un film qui n’en a pas, vous vous risquez quand même à une claque sèche, à vous en dérider la rotondité.
Alors, pourquoi ce film est bon, voire très bon ? Parce qu’il est d’une beauté onirique, il ruisselle tendrement, comme une rivière tranquille, sans méandre, sans heurt, et, en chutant dans les cavités endurcies de nos coeurs de bonhommes, y fait résonner le murmure feutré de la sensibilité. Pour ces raisons, je suis prêt à en oublier les quelques défauts, qui n’enlèvent rien au charme du film ; à se demander même s’ils n’en rajoutent pas !
Le film est centré sur un personnage ? Il n’est pas réaliste car personne ne peut prétendre à une telle joie de vivre ? Ça tombe bien, en voilà tout son principe. Il y a nulle prétention à prendre de la hauteur, à dépeindre la guerre et le sort réservé aux juifs dans leur ensemble. Non, c’est l’histoire d’une jeune fille qui va bien, qui vie dans l’allégresse et l’insouciance, et qui par ailleurs se force à vivre au jour le jour. Car oui, elle est à l’écoute du brouhaha antisémite ambiant, elle n’est pas crédule pour un sous la demoiselle ; simplement elle accepte l’état de fait, la fatalité de la vie, et elle se résout à en jouir de toute son âme. Tant que sa liberté n’est pas entravée, l’espoir subsiste.
Et quelle actrice ! Son petit frère aussi n’est pas en reste ainsi que l’ensemble de la troupe de théâtre. Chapeau à eux, c’est un travail d’orfèvre, un jeu investi comme l’on n’en voit plus souvent. Et c’est si naturel que l’on en oublie la salle obscure et le vieux voisin de siège qui va mal, au vu de la lourdeur de sa respiration.
Certaines scènes m’ont transportées : le rendez-vous chez le médecin — et en particulier l’ophtalmologue ; le premier baiser ; les danses insouciantes et l’escapade à l’orée d’un bois, et plus tard dans le café, avant le dénouement ; le premier baiser ; l’orchestre impulsé par le frère, l’anniversaire du Yiddishe Papa, qui nous plonge au cœur d’un bonheur mélancolique, présage d’une existence éphémère (extraordinaire) ; et la scène finale… Tout cela sublimé par une bande son délicate, des plans de caméra lents et des dialogues épurés qui laissent la part belle aux émotions : celles d’un ex-copain et d’un frère rejetés, celles d’une jeune fille qui va bien aux yeux bouillonnants de vie, d’amour et de curiosité, et celles d’un père rongé par l’inquiétude des lendemains incertains.
Le film est un adieu à la jeunesse, à un temps jadis, et en ces termes il s’agit d’une ode à l’insouciance des jours heureux.
Je retournerai voir ce film, pour avoir le temps, cette fois, de dire adieu à celle qui part pour sa dernière représentation.