C'est l'été, il fait chaud, on a envie de descendre quelques trafiquants de drogue. Manhattan se découpe sur les forges d'un lever de soleil encore ronronnant, dans les premières lueurs d’une journée de plomb. Les logos qui défilent, l’ouverture orangée sous les sons sourds de cornes de brume puis l’éclatante Summer On The City qui se prélasse d’un coup sans la moindre pudeur sur ce cadre ardent. Les plans qui s'enchaînent dans la frénésie d’une fourmilière en pleine effervescence, gueules de métros et naseaux d’autoroutes en pleine respiration avalant et rejetant les nuées humaines, hot dogs et étals de fruits, voitures rangées façon Tetris et feux lumineux dans une atmosphère déjà solide… Puis le “BOOM”, le souffle de poussière, la pluie de débris. Dans la catégorie des ouvertures qui ont marqué l’univers, celle ci se pose là et s’impose fermement dans toute sa force brute. En quelques secondes, le cadre est posé : Un engrenage bien huilé et un grain de sable qui annonce déjà toute l’avalanche à venir. Tu voulais savoir pourquoi on conjugue souvent génie et action quand on parle de McTiernan ? Cette intro suffit à le montrer. Ce qui suit n’est que logique.


Quand en 1995 John McTiernan décide d’offrir une nouvelle aventure au flic de New York au Marcel blanc, on se trouve dans une décennie qui a à peine vu naître Terminator 2, Le Dernier Samaritain, Last Action Hero, Speed et True Lies (une pensée compatissante pour une jeunesse qui pense vivre l’âge d’or du film d’action avec Iron Man et Kick Ass) et on attend en toute logique un bon film défoulatoir, du buddy-movie à la sauce habituelle pour profiter de climatisations bienvenues. Mais on ne s’attendait pas à avoir le chef d’oeuvre du film haletant toutes catégories. Lorsque McTiernan retrouve son bébé, il est devenu alcoolique au dernier degré, aigri accompli et se traîne comme un débris dépravé dans une New York qui a troqué les dindes de Noël et les Jingle Bells pour de la suie et de la poussière surnageant dans la sueur. Les pendules sont remises à l’heure d’emblée, fini les ersatz sans grande saveur qui ne reprenaient que la surface d’une oeuvre à la sève définitivement inimitable, ce n’est pas Noël qui prime dans Die Hard, et si l’idée semblait séduire bien du monde, il est temps de donner un coup de tatane dans ce bordel.


Le McClane corrodé par l’alcool et l’inaptitude à communiquer efficacement avec ses congénères va donc être remis sur pieds et retrouver les oripeaux de la tour de cristal. Un corps saignant et suant dans ses restes de fringues déchirées scrupuleusement martyrisé par son fou furieux de créateur. Tous les codes de l’action movie des 90’s vont être ici repris minutieusement puis magnifiés au centuple. Tout est savamment mesuré au millimètre, finement élaboré avec la précision chirurgicale d’un horloger reconverti dans les bombes à retardement et construit, pensé, filmé par l’oeil d’un cyclone fou. Tout ce qui a fait les grandes heures du réalisateur se retrouve ici pour une débauche de zooms sur faces, de cadrages bouchés par des profils découpés à la serpe de l’angoisse, les hors-champs happant les yeux écarquillés d’une multitude de Cri de Munch, la lumière tantôt glaciale, tantôt brûlante, guidée pour cristalliser une atmosphère tangible où même les sonneries de téléphone peinent à percer, les contres-plongées aspirant les naseaux de personnages inlassablement torturés vers des cieux qu’on espère cléments, perdus et écrasés qu’ils sont par les geôles du climat indécent. La ville entière, fourmilière dantesque vomissant ses hôtes, monstre à l'agonie, est conçue comme un labyrinthe joueur prenant deux pauvres types comme proies favorites pour une cavalcade dans ses boyaux les plus chatouilleux, alors que son minotaure trône fièrement comme le chef d’orchestre malade de cette mascarade insensée. Il y a là tout ce qui fit la force étouffante de la jungle mexicaine dans un autre temps, les ingrédients malicieux d'un huis clos tortueux à ciel ouvert, le creuset idéal pour une alchimie parfaite entre personnages tous finement bâtis, redoutablement attachants, gentils bancals aux allures de messieurs-tout-l’monde foutrement crédibles comme méchants vacillants, sortes de Terminators sympathiques, guidés par une figure taillée dans l'écorce du plus beau charisme, et l’action suffocante, dansante dirigée en jeu de piste volcanique englobé par l’objectif goulu d’une caméra gargantuesque.


C'est là que McT est définitivement au sommet, organisant des étapes cataclysmiques pour ses rats de laboratoire traqués par un oeil surexcité. Dans une nouvelle croisée des genres, là où action classique et film catastrophe trouvent une nouvelle osmose dans l'évidence, la cavalcade euphorique se trouve saupoudrée des quelques codes du monde de la série B horrifique finalement cher à ce réalisateur en mouvement constant, virtuose de la déambulation fugitive et des espaces confinés.


Il y a dans ces deux heures turbulentes les vestiges solides d’un savoir faire ancien, tenant droit au milieu des marées contemporaines où il semble suffire de jeter une caméra dans un tambour de machine à laver et filmer un corps musclé pour respecter la recette d’une scène d’action. Je sais bien que c’est aussi la nostalgie qui parle, et l’assurance confortable de trouver dans les pivots de son éducation filmique une petite perle inégalable, mais quand même, j’ai brisé les noix de tant de potes avec mon regret des films d’action d’antan qu’il me faut bien une justification. Et cette justification tient en partie dans ce film.

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le 13 févr. 2016

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zombiraptor

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