Le succès de 58 minutes pour vivre à sa sortie en salles aurait dû mettre rapidement sur les rails un troisième opus Die Hard. Celui-ci mettra pourtant cinq ans à se concrétiser du fait de nombreux désaccords de production. Dès le début des années 90 pourtant, les producteurs Lawrence Gordon et Joel Silver font tout pour presser le machine et travaillent déjà à la pré-production d’un hypothétique Die Hard 3. Le duo de producteurs jette rapidement son dévolu sur un scénario d’Iliff, y voyant matière suffisante à devenir les futures aventures de John McClane. Il y était question d’un paquebot de croisière pris en otage alors que le héros et sa famille y séjournaient. Un script qui recyclait sans surprise la même mécanique d’enfermement du premier film, troquant la tour pour le bateau croisière rempli de terroristes. Las pour les deux producteurs, la mise en chantier d’un projet concurrent de Warner, Under Siege (Piège en haute mer, sorte de Die Hard sur un bateau militaire) vint rapidement s’opposer à leur projet, la Fox jugeant alors les deux intrigues et leurs contextes trop similaires. D’autant plus que ce scénario n’avait alors rien pour séduire la star de la franchise, Bruce Willis. A l’époque, l’acteur venait d’essuyer une succession d’échecs au box-office et, sortant du succès d’un Pulp Fiction, n’avait aucunement envie de rempiler dans un énième Die Hard sans originalité. Qui plus est, Willis était alors en froid avec les producteurs Lawrence Gordon et Joel Silver avec lequel il s’était frité sur le tournage du film Le Dernier Samaritain. Ce qui n’empêcha pas le duo Gordon et Silver d’envisager un temps de produire un troisième opus Die Hard sans Bruce Willis. Pris entre deux feux, la Fox décida qu’il était évidemment plus sage de garder la star de Die Hard et offrit un chèque substantiel d’1,5 million de dollars au duo de producteurs pour qu’ils abandonnent leurs droits sur la franchise. Le grand studio chercha ensuite un producteur aux épaules assez solides pour succéder au binome Silver/Gordon. Ce fut finalement Andrew G.Vajna, grand patron du groupe Cinergi, qui fut choisi pour superviser la production de Die Hard 3. Ce dernier contacta alors tout d’abord Shane Black pour rédiger un script solide mais celui-ci refusa. Puis il y eut une tentative de script rédigé par John Milius, rapidement abandonné (fidèle à ses marottes, ce dernier souhaitait envoyer McClane combattre les trafiquants de drogue dans la jungle). Andrew Vajna manifesta ensuite beaucoup d’intérêt pour un script original de Doug Richardson (déjà scénariste du second film) dans lequel le métro de L.A. devenait la cible de terroristes qui cherchaient à dévier l’attention des autorités pour cambrioler la réserve d’or fédérale. Un pitch intéressant mais qui surfait alors trop sur la mode des Die Hard bis produits à la chaine à Hollywood, entre un Die Hard maritime (Under Siege), un Die Hard aérien (Passager 57) et un Die Hard montagnard (Cliffhanger). Bruce Willis lui-même ne fut pas emballé par ce script et exigea qu’on lui propose quelque-chose de plus original.
En parallèle, Vajna se lança à la recherche d’un nouveau réalisateur pour ce Die Hard 3. Il proposa tout d’abord le poste à Danny Cannon, un clippeur bien en vue à Hollywood, mais ce dernier déclina l’offre, lui préférant la réalisation de Judge Dredd avec Stallone. Ayant précédemment collaboré avec John McTiernan sur Medicine Man, Vajna se tourna alors vers le réalisateur du premier Die Hard et lui proposa le poste. A cette époque, McTiernan était devenu quelque peu tricard à Hollywood du fait de l’échec critique de son Medicine Man et du four financier de Last Action Hero en 1993. Le cinéaste avait donc grandement besoin d’un nouveau projet suffisamment solide pour rebondir et se racheter une crédibilité de cinéaste rentable. Un temps dragué par la Warner pour mettre en boite leur Batman Forever, McT accepta finalement l’offre de Vajna de réaliser ce troisième Die Hard. Et c’est finalement lui qui trouva le script en or, apte à contenter tous les partis. Un scénario intitulé Simon Says et écrit par un scénariste indépendant, le méconnu Jonathan Hensleigh (futur réalisateur du Punisher avec Thomas Jane). Très inspiré par le pitch de Dirty Harry (le rançonnement de la ville de San Francisco par un fou), son intrigue initiale voyait un policier de New York faire équipe avec un activiste noir pour affronter un poseur de bombes vicieux qui menaçait de faire sauter un lieu public toute les heures si ses exigences n’étaient pas satisfaites. Un temps envisagé par Joel Silver et la Warner pour devenir le scénario de Lethal Weapon 3, le script est finalement acheté par la Fox pour devenir le prochain Die Hard. Hensleigh fut ensuite engagé pour remanier son script, adapter son personnage principal au cynisme larvé de John McClane, transformer le méchant en frère de Hans Gruber et y inclure aussi quelques éléments du script refusé de Doug Richardson (celui du métro), notamment l’idée de la diversion provoquée par l’attentat pour permettre aux terroristes de dévaliser la réserve d’or fédérale. Un rien ironique, Richardson avouera plus tard que si son script n’a jamais été validé tel quel par la Fox, le grand studio l'a néanmoins pillé pour en recycler quelques idées dans d’autres films, notamment dans Speed (tout le dernier acte du film de Jan DeBont reprend le script initial de Richardson) puis dans Une journée en enfer (l’explosion dans le métro, le braquage de la réserve fédérale).
Séduit par la combinaison de ces idées et le traitement final livré par Hensleigh, McTiernan trouva finalement dans cette intrigue suffisamment de matière à proposer un film à la structure différente de celles des deux premiers opus. Car si 58 minutes pour vivre avait cartonné en salles cinq ans plus tôt, son intrigue ne faisait finalement que dupliquer la formule du premier opus, troquant le concept en huis-clos de la tour en otages pour une intrigue faussement plus ouverte (l’aéroport aux prises avec les terroristes) et dans laquelle son héros repassait finalement par toutes les étapes du premier film (épouse en danger, alliés débonnaires, journaleux fouineurs, méchant faisant la démonstration de sa cruauté), à quelques variations près. McTiernan est alors séduit par l’idée de proposer un actioner totalement novateur, tant dans le concept de son intrigue (toute une ville prise en otages à son insu) que dans son approche visuelle. Car si ce troisième Die Hard fait ouvertement suite au premier opus, il est aussi la continuité logique de la métamorphose stylistique du cinéma de McTiernan entamée sur Last Action Hero. Ce dernier film s’ouvrait ainsi sur une longue parodie d’une heure des films d’action hollywoodiens, avec cadrages et montage assez classique, pour se terminer dans le « monde réel » du petit Danny Madigan, où McTiernan faisait ouvertement le choix de « saloper » sa réalisation en privilégiant des prises de vue en caméra portée, censées retranscrire la visualisation imparfaite de la vie de tous les jours. A contre-courant des canons visuels de l’époque, McTiernan choisit finalement de poursuivre sur Die Hard 3 l’expérimentation visuelle qu’il avait commencée sur le dernier acte de Last Action Hero. En accord avec son directeur de la photographie, le légendaire Peter Menziès Jr (qui collaborera ensuite plusieurs fois avec le cinéaste), McTiernan opte ainsi pour une réalisation plus immersive et réaliste, favorisant les prises de vue en caméra portée, les cadrages serrées sur les visages (belle manière de souligner l’excellent jeu de ses acteurs) et un montage plus énergique, très loin du classicisme auquel nous avait alors habitué les Andrew Davis et Jan De Bont (le réalisateur de Speed ayant d’ailleurs été longtemps le directeur photo de McTiernan, notamment sur Piège de cristal et A la poursuite d’Octobre rouge).
Il est indéniable que le parti-pris styliste de John McTiernan et sa manière de filmer l’action dans Die Hard with a vengeance a grandement influencé la mise en scène dans le cinéma d’action des années suivantes. Il suffit de comparer le classicisme de la réalisation de certains actioners des années 80 et du début des années 90 (Die Hard 1 et 2, Under Siege 1 et 2, Cobra, Permis de tuer et Goldeneye) à la mise en scène plus immersive des films d’action du second millénaire (la saga Jason Bourne et Casino Royale, avec leurs prises de vue en caméra portée et leur abus de shakycam, en sont des représentants les plus évidents). Le point de jonction entre ces deux approches visuelles se trouve être précisément l’année 1995 qui vit la sortie d’Une journée en enfer et celle du premier film d’un certain Michael Bay, Bad Boys. Mais là où ce dernier réalisateur imposa rapidement son style surdécoupé et abrutissant (vive le montage épileptique et les plans de moins de trois secondes) à l’ensemble du cinéma d’action hollywoodien (surtout à l’écurie Bruckheimer : Les Ailes de l’enfer, 60 secondes chrono), McTiernan, lui, ne perdait pas de vue l’idée de livrer des scènes d’action intelligibles et de ne pas écraser le regard du spectateur sous une couche de plans ultra-rapides, tremblants et cache-misère. Il suffira de revoir la fameuse séquence de course-poursuite à travers Manhattan et Central Park ou bien celle de l’explosion de la rame du métro pour constater que l’action chez McTiernan n’avait pas besoin de s’appuyer sur des artifices de montage pour être à la fois dynamique et totalement lisible.
A ceux qui craignaient à l’époque de voir en ce troisième Die Hard une resucée des deux premiers films (et de tous les actioners qui avaient été faits jusque-là), McTiernan leur répond dès les premières secondes de métrage en bousculant les codes du film d’action et en proposant une exposition tout aussi rapide qu’efficace. Sur les notes enjouées du Summer in the city de The lovin spoonful, Die Hard with a vengeance débute au petit matin et promet une véritable journée en enfer. En quelques plans d’extérieurs, le cinéaste nous présente son cadre (le matin d’une chaude journée d’été à New York) et son contexte (l’explosion soudaine d’un grand magasin). La séquence suivante révèle l’approche visuelle optée par le cinéaste. Alors que le commissariat de police croûle sous les appels téléphoniques et que les flics vont et viennent dans les bureaux, la caméra inquisitrice de McT suit l’agitation des personnages et retranscrit à merveille l’urgence de la situation. On est alors très loin des cadrages en plans larges généralement choisis pour ce type de scène chorale. Le cinéaste use de plans rapprochés et s’emploie à capter les visages de ses acteurs, comme si l’objectif suivait le regard d’un témoin de la scène, présent auprès des personnages. Un coup de fil et la voix inquiétante du mystérieux Simon suffit à exposer les enjeux et convoque immédiatement la présence du héros, John McClane.
Et c’est un McClane bien loin de l’image attendue que l’on retrouve la scène suivante, la gueule de bois et l’humeur irascible. Suspendu pour état d’ébriété, le héros de Piège de cristal n’est plus que l’ombre du flic dur à cuir et ingénieux qu’il a été, séparé de sa femme et bien loin de la Cité des anges. Malins, John McTiernan et son scénariste savent pourtant que la réussite du film ne tiendra pas seulement grâce au seul retour de son héros vedette mais à l’intégration d’un nouveau personnage répondant aux codes du pur buddy movie. Le cinéaste s’amuse à placer très vite son "héros" en situation de faiblesse (l’agression dans Harlem) et nous présente en deux scènes l’autre héros du film : Zeus Carver, un commerçant new-yorkais noir et raciste qui sauve contre toute attente la vie du policier blanc. L’entente entre les deux personnages semble impossible et nourrit constamment l’intrigue par l’alchimie que les deux acteurs forment à l’écran, Samuel L. Jackson se révélant ici tout aussi génial que dans Pulp Fiction. Foncièrement opposés et ne cessant jamais de s’envoyer des vannes aussi cassantes qu’hilarantes, John et Zeus transforment Une journée en enfer en authentique buddy movie et reste d’ailleurs à ce jour un des meilleurs duos que nous ait offert le cinéma. Car la défiance et la vacherie que manifestent les deux personnages l’un pour l’autre n’a de cesse d’évoluer au fil de l’intrigue jusqu’à se transformer en véritable amitié.
Face à eux, Simon Peter Gruber se révèle être un des antagonistes les plus réussis du cinéma d’action. Il faut savoir que depuis l’interprétation d’Alan Rickman dans le premier opus, bon nombre d’autres films d’actions se sont employés à proposer des antagonistes aussi dangereux que charismatiques, très loin des grands mégalos de James Bond. Ainsi bon nombre d’acteurs réputés ont accepté de jouer les méchants dans des bandes tels que Piège en haute mer (Tommy Lee Jones), Léon (Gary Oldman), Last Action Hero (Charles Dance), Cliffhanger (John Lithgow), Speed (Dennis Hopper), Rock (Ed Harris) ou encore Les Ailes de l'enfer (John Malkovitch). Souvent cruels jusqu’à la caricature, aucun (à part Oldman) n’était vraiment parvenu jusque-là à égaler la prestation de Rickman dans Piège de cristal. Et ce n’est certainement pas Bill Sadler et le bad guy glacial et cruel qu’il a interprété dans Die Hard 2 qui viendra me contredire. Se souvenant certainement des mots d’Hitchcock ("Plus réussi sera le méchant, plus réussi sera le film"), McTiernan sait pertinemment qu’il doit ici proposer un antagoniste d’envergure aussi machiavélique que l’avait été Hans Gruber. Le pont avec le premier opus sera d’ailleurs étonnamment jeté, permettant ainsi au scénario de justifier la rancune que voue Simon à McClane tout en offrant à McTiernan la possibilité de se réapproprier la paternité de la franchise : Simon est en fait le frère cadet du premier méchant de Die Hard et souhaite le venger en tuant McClane. L’intelligence du scénario est d’avoir laissé un temps ce personnage dans l’ombre (pour favoriser le développement de l’intrigue), le transformant en menace quasi-omnisciente à travers une simple voix au bout du fil. Lorsqu’il se révèle ensuite à mi-métrage, Simon nous apparait comme un homme aussi élégant et déterminé qu’Hans Gruber, et tout aussi cupide. Le braquage qu’il mène sur la réserve fédérale révèle toute son ingéniosité et reste un grand moment de cinéma, rythmé par les sonorités martiales du score de Michael Kamen et l’emploi du célèbre When Johnny Comes Home. Une séquence qui permet à McTiernan de révéler au spectateur toute l’organisation criminelle que cachait la simple menace à la bombe, tout en raccrochant les wagons avec ce qui faisait la particularité des méchants des premiers Die Hard : des criminels sophistiqués, suffisamment ingénieux pour se jouer des autorités et imposer leur supériorité tactique sur les autres personnages. Mais très loin d’être simplement méchant, Simon Gruber semble parfois capable d’une clémence surprenante (voir comme il ordonne à un de ses hommes de laisser partir Zeus) et d’un certain sens moral (il avoue volontiers à McClane ne pas être assez monstrueux pour faire sauter une école). Charismatique et inquiétant, Jeremy Irons incarne à merveille ce cerveau criminel aussi audacieux qu’ambivalent, déterminé à venger un frère qu’il avoue pourtant avoir détesté. L’acteur est d’ailleurs un choix logique pour incarner ce bad guy d’origine allemande et bourré de tics nerveux : il est un des rares acteurs internationaux à avoir cette capacité à adopter parfaitement les accents étrangers (à l'instar de William Hurt, Kenneth Branagh, Viggo Mortensen et Alan Rickman). Comme attendu, le héros triomphera de son adversaire au soir de cette journée en enfer à travers un final nocturne d’anthologie qu’on est en droit de préférer à la fin alternative qui voyait McClane retrouver Gruber des mois après l’intrigue pour le confronter cruellement autour d’une table de restaurant.
A l’aune de toutes ces qualités, il est assez difficile de reprocher quoi que ce soit à ce troisième opus. A peine pourra-t-on mettre à l’index une grosse facilité scénaristique dans le dernier acte (lorsque John McClane est éjecté du tunnel inondé, Zeus passait comme par hasard par là en voiture) et quelques incrustations ratées (l’inondation du tunnel, l’explosion du bateau dans le dernier acte). Des scories à peine fâcheuses qui ne suffisent pas à gâcher l’excellence d’un film parfaitement écrit, réalisé et interprété. On ne compte plus les séquences cultes dans Die Hard with a vengeance et l’excellence avec laquelle elles sont orchestrées, que ce soit la séquence de Central Park ou ce fameux climax en trois parties (l’infiltration dans le bateau, l’explosion finale de la bombe, la confrontation en hélico), sans oublier les scènes de l’attentat dans le métro, du braquage de la réserve fédérale et de la poursuite dans l’aqueduc. Tout concourt à faire de ce troisième opus un modèle insurpassable de film d’action. Des réalisateurs comme Christopher Nolan (The Dark Knight) ou Sam Mendes (Skyfall) s’en souviendront bien plus tard en adoptant la mécanique scénaristique d’une confrontation inégale en forme de jeu de l’oie où les méchants ont toujours un coup d’avance sur les héros. McTiernan lui, tricard depuis vingt ans à Hollywood depuis l’affaire des écoutes Pellicano, n’aura plus qu’à contempler l’héritage de son propre cinéma sur les écrans du second millénaire.