Une journée particulière est un film d'une douceur et d'une sensibilité hautement maîtrisées par un réalisateur qui mérite que l'on s'attarde sur son travail cinématographique : Ettore Scola.
Pourtant, je dois dire que la plupart du temps, ce type de scénario a tendance à me décevoir, car l'on substitue souvent la puissance artistique au profit d'un excès de mélodrame étouffant qui en devient risible et décevant. Je veux dire, le type de film où l'on a l'impression de se retrouver devant un amas de clichés, de poncifs peu convaincants voire dérangeants, le tout conduit sans aucune véritable sensibilité artistique, ce qui n'est pas du tout le cas d'Une journée particulière, qui évite d'être rangé dans cette catégorie grâce à un traitement narratif magistral.
Pour le coup, j'ai réellement senti un geste artistique de la part du réalisateur dans la façon dont les évènements sont amenés, ce qui ne peut laisser le spectateur insensible devant la beauté d'une relation qui dura finalement une journée, rien qu'une journée, une journée si particulière.
L'histoire de cette femme m'a touché parce que je la trouve brillamment contée par Ettore Scola. Tout d'abord, Sophia Loren est remarquable dans le rôle de cette femme fortement délaissée et sans cesse rabaissée par son mari. Ettore Scola nous montre le comportement de nombreux hommes adhérents au parti fasciste qui perdent totalement leur sensibilité et leur personnalité au profit d'une quête de virilité outrancière jusqu'à en devenir caricatural, bestial, rustre et même méprisable. Plus rien ne distingue ces individus qui se ressemblent tous et considèrent les différentes choses de la vie de la même manière. Tout rentre dans le lignage d'une seule idéologie qui ne permet plus d'interpréter la réalité autrement que sous ce prisme malsain et dégradant. Antonietta est sous le joug de cette idéologie mortifère qui détruit la liberté existentielle et créatrice de l'individu. On sent qu'elle est influencée par tout ça, tout en gardant au plus profond d'elle-même des intuitions allant à l'encontre de cette idéologie, ces derniers se confirmeront grâce à sa merveilleuse rencontre avec Gabriele, personnage ô combien attachant.
Il y aussi la thématique de l'homosexualité qui surgit dans ce film, mais encore une fois - en conformité avec mes propos précédents - ce n'est rendu ni niais, ni mélodramatique jusqu'à obtenir cet effet "forcé" que l'on retrouve dans de nombreux films aujourd'hui. Ici tout se justifie pleinement par le contexte historique pour insister sur le contraste entre un être sensible et rejeté et les adhérents au parti, insensibles mais insérés dans le moule. Ainsi, le personnage de Gabriele nous apparaît comme étant pleinement authentique et touchant. Il apporte cette touche de bonne humeur, de joie qui vient se confronter à la froideur et à l'opacité terrifiante qui règne au sein des différentes relations humaines. Gabriele apporte sa touche de poésie et de vitalité dans un monde qui sombre dans le nihilisme le plus total, ce qui ne pourra pas laisser insensible Antonietta.
Dans ce film je trouve que tout sonne magnifiquement juste, que ce soit les fonds musicaux qui viennent renforcer la profondeur de scènes touchantes et marquantes du film ou encore l'utilisation de gros plans sur les visages pour insister sur la force qui émane des regards des deux personnages principaux. L'histoire en elle-même est agréablement bien conduite, les péripéties s'enchainent sans que le spectateur sente que le réalisateur force le trait ou insiste de manière grossière sur des éléments pour parvenir à sa fin souhaitée. C'est ici que l'on ressent toute la maîtrise d'un grand cinéaste sur un tel sujet, et c'est ce qui le distingue à mon sens d'un certain nombre de films ratés sur l'exploitation d'un sujet similaire.
Il y a également une scène que j'aimerais mentionner tant je l'ai trouvée remarquable de mise en scène, avec un effort de réalisation qui conserve une simplicité tout en l'associant à une virtuosité artistique, je parle bien évidemment du moment de sensualité entre Antonietta et Gabriele.
Antonietta en vient finalement à désirer cet homme qui lui semble si touchant, sensible et profondément gentil, doux, sincère avec elle. Gabriele de son côté - bien qu'il soit homosexuel - parvient tout de même à faire l'amour à cette femme, et on comprend qu'il y parvient parce qu'il fusionne littéralement avec cet être doué d'autant de sensibilité que lui sans pour autant apprécier sexuellement parlant ce moment de grâce et d'immense poésie entre deux êtres : j'ai trouvé ça magnifique. Cette séquence est forte, riche en intensité émotionnelle et en beauté artistique.
Une journée particulière s'impose selon moi comme l'un des films majeurs sur la thématique de la vie d'individus durant la période de la Seconde Guerre mondiale. A ce jour, je me demande si ce n'est pas même le film que j'ai préféré parmi tous ceux qu'il m'a été donné de voir.
Une histoire d'amour spéciale car platonique tout en jouant sur l'ambiguïté d'un brûlant désir sexuel, au sens d'une fusion de deux êtres qui se comprennent l'un l'autre malgré leurs situations profondément différentes. Le contexte historique vient évidemment renforcer cette histoire passionnante qui monte crescendo mais toujours avec justesse, simplicité et grandeur.
Un film bouleversant qui n'a pas usurpé sa réputation d'incontournable du cinéma italien.