« Vous vous méprenez, monsieur, ce n’est pas le locataire du sixième qui est antifasciste...
...c’est le fascisme qui est anti-locataire du sixième. »
J’ai visionné ce film à l’occasion d’une soirée du ciné-club de ma prépa, et je dois dire qu’une fois de plus le choix du prof était impeccable. Une journée particulière, c’est tout d'abord l’histoire d’une rencontre dans un cadre historique particulièrement lourd et hostile.
Dès l’ouverture sur d’excellentes images d’archives, le spectateur est plongé dans l’ambiance de l’époque : les totalitarismes, les défilés impressionnants, les démonstrations de puissance des régimes fascistes… Le cadre est posé durant ces quelques quinze minutes d’images en noir et blanc. Ensuite apparaît ce qui tiendra de lieu à l’action du film : ces immeubles énormes, replié sur eux-mêmes, où tous les voisins peuvent s’épier entre eux grâce à l’omniprésence des fenêtres qui donnent sur les appartements des autres. Perturbant.
Ce film illustre pour moi la rencontre de deux solitudes que tout semble séparer. D’un côté, nous avons cette mère de famille débordée, engluée dans un cadre de vie triste et monotone, soumise à un mari détestable, presque ignorante de son propre malheur. Et les couleurs pâles soulignent bien ce quotidien médiocre et répétitif, que la rencontre officielle entre les deux dictateurs vient rompre, en donnant au gens une occasion de se retrouver, de prendre part à un événement festif plus que de réellement s’engager dans le fascisme. Il s’agit ici de paraître, de suivre un mouvement de masse pour ne pas se marginaliser et de profiter d'un semblant de fête.
D’un autre côté, nous avons cet homme qui semble seul, effectivement en marge à cause de son homosexualité et son refus de prendre part aux manifestations du régime, et qui va révéler Antonietta à elle-même, en lui montrant l’étendue de la tristesse de sa vie, en lui apprenant à espérer. Un espoir qui d’ailleurs, peut presque apparaître comme destructeur. Le mainate, quant à lui, est un formidable créateur de lien entre les deux personnages.
Pourtant, dès le début de la rencontre, les deux personnalités s’entrechoquent, les deux visions du monde s’opposent et ne peuvent s’accorder. Antonietta suit la masse, Gabriel est à contre-courant, comme le soulignent bien les ragots de ce stéréotype de la concierge, espionne désagréable et insignifiante, image même de la dénonciation inhérente aux dictatures, et qui s’empresse de signaler à Antonietta le côté « subversif » de ce fameux voisin du 6ème étage.
Et la dictature, parlons-en ! Il y a d’abord l’image des dictateurs, ils sont puissants, ils sont adulés – particulièrement par les femmes – et apparaissent comme des modèles. Mais cependant, cette « révolution » que veut Mussolini, elle nous semble mise en échec : au vu de l’appartement de la famille, rien n’a changé, l’intérieur petit bourgeois, les images religieuses, allant à l’encontre pourtant des idéaux fascistes, rien n’a disparu… C’est presque comme si la chute du régime se laissait déjà pressentir.
Finalement, si Gabriel apprend à Antonietta à espérer la liberté, c’est peut-être aussi parce que lui n’en a déjà plus la possibilité, il se sait condamné par le fascisme, lui qui a déjà été repéré par les autorités après avoir, pendant un certain temps, tenté de cacher ce qu’il était réellement. On pourrait croire que le livre des Trois Mousquetaires qu’il laisse à Antonietta est une métaphore d’un nouvel espoir dans la vie de celle-ci… Mais non, parce qu’elle le repose bien trop tôt, elle le remise dans cette vitrine pour finalement céder et continuer la vie qu’elle a toujours menée, même si maintenant elle sait qu’une autre vie est possible. C’est alors le constat d’un autre échec, la révélation de la liberté devient dévastatrice car la pauvre femme n’en profitera jamais.