Quand vous mettez le DVD de "Une merveilleuse histoire du temps" dans votre lecteur DVD (calme-toi c'est une métaphore), vous êtes en pleine cambrousse et vous avez deux chemins qui s'offrent à vous. Une belle autoroute, le goudron vient d'être retapé et les panneaux tout neufs claquent comme papa dans maman et un petit chemin de terre en mode je fais de la trottinette dans les montagnes en Islande. Le truc, c'est qu'une grosse flèche au sol vous indique qu'il faut alors prendre l'autoroute, c'est pas négociable. "Une merveilleuse histoire du temps" ne vous laisse pas le choix et vous prévient dès les premiers instants, c'est quand même généreux de sa part. Vous allez emprunter un chemin classique, bien achevé et très propre. Ca va être bien expédié et particulièrement réussi mais vous n'aurez aucune surprise, aucun changement de rythme, aucune singularité, tout est déjà préparé d'avance, vous verrez. Si vous acceptez ça, si vous acceptez d'embarquer sur une voie connue et conquise dès les premiers instants, alors le trajet se passera bien et vous n'aurez pas en tête un itinéraire plus vibrant. Et j'ai accepté ça dès le départ. J'ai accepté qu'on dicte mes émotions, qu'on me dise quand pleurer, quand être surpris et quand m'émerveiller, comme la bonne poire que je suis. Si vous n'êtes pas capable d'une telle abnégation, passez votre chemin, ce film n'est définitivement pas fait pour vous...
Ce biopic, qui n'en est pas vraiment un puisqu'il se concentre sur le handicap et ses répercussions plus que sur la vie entière du génial Stephen Hawking, est une usine à (bons) sentiments. Violons prêts à faire pleurer les âmes à fleur de peau comme moi, piano en mode "là c'est émouvant faut pleurer Evy parce que je fais tout pour que tu pleures donc quand même cligne des yeux", lumières accentuées pour la beauté du monde tu ne peux pas comprendre la vie est belle, grands silences quand Stephen se retrouve seul avec lui-même, les regards qui se croisent, la pluie qui gronde ou les chemins qui se séparent avec lui dans une pièce et son infirmière et sa femme dans l'autre, la caméra qui tourne dans un escalier en colimaçon, le feu d'artifice et les protagonistes de dos... Je pourrais continuer des heures, tout est calibré au millimètre pour accentuer l'émotion. C'est la grande caractéristique du film, permettre grâce à la mise en scène et à la technique de James Marsh de cristalliser l'émotion et de la démultiplier par mille. Parfois même, la réalisation est tellement béante qu'elle fait naître elle-même le malheur ou le bonheur, c'est selon, plus que les acteurs eux-mêmes, et ça ce n'est pas bon signe en général. Comme les films d'horreur qui misent sur le son plus que sur l'image. C'est un film à oscars, comme on dit. J'ai pris le parti - ou du moins je n'ai pas trop eu le choix, je suis comme ça - de l'assimiler et de me laisser prendre au jeu. Dire qu'un film est "à oscars" est une petite hypocrisie qui vise à dénaturer le film et à minimiser ses qualités, à les rendre artificielles et peu convaincantes car orchestrées et sans authenticité. Peut-être, mais peu importe le pourquoi si le résultat me plait. Ca ne me dérange pas qu'on me mette le pied à l'étrier.
Le handicap est quelque chose dont on ne parle pas assez à mon goût et mettre en lumière ce thème par l'intimité de ce grand professeur de physique est une idée excellente. J'apprécie le fait que le réalisateur ait voulu montrer avant tout le combat de cet homme et de ceux qui l'entourent, notamment sa compagne, contre son destin inéluctable et irréparable. J'ai aimé l'exceptionnelle prestation de Eddie Redmayne, pour qui on éprouve une peine immense et avec qui on partage de grands moments d'intimité. Certaines scènes sont très humiliantes pour lui et on ressent véritablement le poids de ce handicap - relativement - et c'est très fort. Felicity Jones est formidable et pour la première fois, elle joue devant les caméras une femme forte, très humaine mais aussi parfois dure voire coriace dans ses réactions face au personnage principal notamment et par sa présence scénique. C'est une vraie bonne performance, surtout quand on observe sa filmographie et qu'on a le plaisir de voir qu'elle sort un peu de l'amoureuse éperdue. Le paradoxe entre la naissance de l'univers, ses limites, son commencement et sa fin, cette large question existentielle et la vie privée de Stephen Hawking qui doit lutter contre tous les petits détails de la vie quotidienne ou devant les vraies questions de sa propre existence est génial. On assiste aux questionnements de l'homme et de l'Homme et le film reflète bien cet antagonisme chevronné qui mélange certes les genres mais qui se concentre sur une vérité stricte : nous ne sommes qu'une infime particule.
La question du handicap est abordée selon tous les aspects, du principal touché à la compagne (plus auxiliaire de vie que conjointe) en passant par l'entourage proche et très éloigné. Les indispositions, qu'elles soient physiques ou dans la vie sentimentale, sont retranscrites avec beaucoup de pudeur et de finesse même si ça reste du cinéma larmoyant. La considération, aussi, est très présente, ce besoin qu'il a de se retrouver en tant que personne et elle en tant que femme, la future génération qui prendra la relève et qui est le sel de notre existence et la fuite du temps dont on ne doit plus avoir peur, tant de sujets complexes et abordés par le biais d'un handicap bouleversant la vie de tous. La religion qui n'a de cesse de se confronter à la science tout au long du métrage est importante notamment dans l'espoir qu'il y trouvent tous et dans la juxtaposition de ses propres idées : il remet tout en question tout le temps, un peu comme sa vie décousue.
Si le film, basé sur le livre de Jane Hawking elle-même, est aussi subtil qu'un sumo qui piétine une fourmilière, il n'en demeure pas moins une merveilleuse histoire de vie qui tient plus de l'ode à la solidarité et à la philanthropie plutôt qu'à la véritable histoire de Stephen Hawking. C'est naïf de se laisser prendre au jeu si facilement et pourtant, ce film est une leçon de bravoure intemporelle qui, j'en suis certain, en laissera beaucoup sur la touche.