Bien des raisons font de ce film une perle étrange : parce qu’il fut perdu pendant près de 50 ans par son réalisateur, qui l’avait enterré dans son jardin durant la 2ème guerre mondiale avant de l’oublier, parce qu’ils nous arrive tronqué d’un bon tiers, parce qu’il est dénué de tout intertitres nous permettant de comprendre un certain nombre d’éléments du récit (habituellement récités à voix haute par les fameux benshi, narrateurs du cinéma muet nippon), et enfin parce qu’il est le fruit d’un collectif expérimental qui œuvra pour mettre en image les délires d’une internée en hôpital psychiatrique, avant que le réalisateur, au vu de l’insuccès d’un tel projet, ne s’oriente sur un cinéma plus conventionnel par la suite.
Les bribes compréhensibles du récit permettent de distinguer une aliénée enfermée dont le mari, pour rester auprès d’elle, voire tenter de la libérer, se fait engager comme homme d’entretien dans on asile.
L’essentiel réside dans la forme, épousant la distorsion de la protagoniste dans son rapport au réel : la déformation de l’image, le montage saccadé et le jeu de la protagoniste se rapprochant très souvent de la danse permettent ainsi un choc frontal qui mêle les incongruités d’images d’un Buñuel aux fulgurances de découpage d’un Eisenstein. On oscille en permanence entre une forme de figuration, notamment dans l’image d’un couple séparé en permanence par des barreaux, et les tentatives désespérées du mari pour trouver en son épouse des restes d’une conscience perdue, et des hallucinations beaucoup plus graphiques, voire abstraites, comme ces lignes droites (rues, rails, barreaux) obsédantes, ou la contamination des images mentales sur l’intérieur, permettant à une voiture de faire son entrée dans le corridor de l’asile. Ce retour, de temps à autre, au point de vue du mari joue de contrastes et d’interactions qui donnent une ampleur nouvelle à la folie de la mère : on le voit dans le rôle donné aux autres pensionnaires, leurs ricanements ou leur complicité, et la manière dont ils sont tous recouverts d’un masque à la fin : l’isolement n’est plus celui de l’aliénée, mais bien du sain d’esprit – et, avec lui, du spectateur, qui se perd dans les méandres de ces délires visuels.
Une expérience assez stimulante, et qui prouve que ce désir d’exploiter les potentialités de l’image en mouvement n’a pas attendu une certaine maturité du cinéma, et n’est pas non plus propre à une culture donnée comme l’expressionnisme allemand ou le formalisme russe : la folie vectrice de l’inspiration libertaire est un élan universel.