En 1951, à Venise, l'Europe découvrait qu'on fait aussi des films au Japon ("Rashômon", prends ça Rohmer !). Sans blague. C'est qu'à force de regarder notre petit nombril de centre du monde... Bref. Je me moque et pourtant j'ai été pris exactement au même piège en regardant "Une page folle" (1926 !) de ce cher Kinugasa. Comment ? L'avant-garde aurait existé ailleurs qu'à Paris ou à Berlin ? Comment ? La terre ne tourne pas autour de ces quelques auteurs qu'on a appris à adorer ? Merde alors.
Du coup, petite perte de repère. Kinugasa a-t-il vu et appris son Murnau et son Einsenstein sur le bout des doigts ? Est-il une heureuse et brillante coïncidence, mêmes idées, mêmes exécutions plus ou moins à la même période (les grands esprits se rencontrent...) ? Toujours est-il qu'ici on cherche à agrandir le langage et le répertoire du cinéma muet. On propose de nouvelles voies. On expérimente, oui, (donc) on crée et (donc) ça mérite le détour.
Outre le montage, la recherche de plans originaux, de perspectives différentes, c'est surtout du récit voire son mépris justement d'une forme traditionnelle de story-telling que Kinugasa se démarque. Et vas-y que ça pète dans tous les sens, est-on dans un rêve ?, dans une narration éclatée ?, peu importe, on recueille des impressions fugitives et on fait avec ce qu'on a, ça fait du bien de pas être tenu par la main pour une fois.
La qualité de la copie dégueu rajoute presque un petit piment du genre ouais-je-peux-le-faire-j'ai-les-yeux-en-sang. On se dit que tout ça est parfaitement snob mais passé les premières minutes, on se plonge vraiment dans le morbido-étrange de ce rêve malsain.
Au jeu des comparaisons que j'affectionne assez, ça anticipe presque le cinéma de Maya Deren (et donc de Lynch).
À voir si vous êtes prêts à faire voler en éclats quelques-unes de vos certitudes !