Ah il faut avoir le moral pour survivre dans cette petite ville du sud de la Chine! Entre la pluie qui n'en finit pas de tomber, l'inquiétante silhouette de cette gigantesque usine qui obscurcit l'horizon et cette crasse qui tapisse les murs lépreux des HLM dans lesquels logent les ouvriers, on n'a pas trop le coeur à rigoler. On rêve d'une vie meilleure à Hong Kong, si poche et si lointaine, et en attendant on vaque à ses occupations. Yu, le vigile de l'usine, s'improvise détective, à l'affût des employés chapardeurs. Yanzi, la jeune prostituée, attend le client dans une maison close. Et le vieil inspecteur de police, l'impassible Lao Zhang, pourrait aspirer à une retraite bien méritée. Jusqu'au jour où un serial killer se met à massacrer des jeunes femmes, laissant leurs corps meurtris dans les terrains vagues et boueux qui bordent la sinistre usine. C'est l'événement qui bouleverse le destin de Yu, lequel soupçonne très vite un employé d'être le criminel violeur et sadique.
Cette "Pluie sans fin" est donc d'abord un film noir. Très noir! Et poisseux, très poisseux! Le réalisateur, dont c'est le premier essai, joue avec tous les codes du thriller et baigne le tout dans une ambiance de fin du monde. De fin d'un monde plutôt, car l'histoire se déroule en 1997 alors que la Chine s'engage dans une nouvelle modernisation à marche forcée. L'usine témoin d'une époque révolue est condamnée. La petite ville elle-même est condamnée au profit de futures métropoles ultra-modernes. C'est en quelque sorte la "Chine périphérique", désespérée, nihiliste, qui sert de toile de fond au scénario. Formellement, la réalisation alterne les morceaux de bravoure (l'hallucinante poursuite dans l'usine et la gare de triage) et les moments intimes. Le cadre, la photographie, l'élégance des acteurs, la musique: tout concourt à l'impressionnante maîtrise dont fait preuve ce cinéaste qui s'inscrit avec force dans la nouvelle vague du cinéma chinois dont quelques chefs d'oeuvre parviennent heureusement jusqu'à nous.