Coney Island, années 50: sa plage, ses barbes à papa, son parc d'attraction, le tout à quelques encablures de Manhattan. A l'ombre de la Grande roue, se noue un mélo familial qui, sans avoir l'air d'y toucher, vire peu à peu à la tragédie grecque. Il y a le père, employé du manège, pêcheur le dimanche, un peu rustre mais bon bougre; il y a sa grande fille, née d'une première union, qui débarque un beau jour sans crier gare après 5 années de bouderie et un mariage raté avec un chef mafieux; il y a son épouse, serveuse au resto du coin et nostalgique de la carrière de comédienne qu'elle n'a pas eu; il y a le jeune fils de celle-ci, garnement salement perturbé, pyromane obsessionnel et qui chaparde pour se payer des séances de cinoche; enfin il y a le maître-nageur, beau gosse qui se rêve en auteur de théâtre et qui commente face caméra l'imbroglio sentimental dans lequel il se prend les pieds.
Sous le regard toujours acéré de Woody Allen, tout ce petit monde court évidemment à sa perte. Aux couleurs acidulées de la fête foraine répond la noirceur du destin. Ici les jeux de l'amour et du hasard se teintent de sombre fatalité. Kate Winslet, comme Cate Blanchett ou Diane Keaton autrefois, campe un magnifique portrait de femme. James Belushi et Justin Timberlake incarnent l'époux et l'amant, faibles hommes et victimes pathétiques d'un terrible engrenage. Une course à l'abîme filmée par le maître avec une virtuosité de jeune homme et dans une lumière sublime.
Depuis longtemps, l'oeuvre prolifique de Woody Allen se partage en deux catégories: les films légers au parfum enivrant mais fugace, que l'on oublie assez vite; et les opus majeurs, qui s'installent à jamais dans notre mémoire, à l'instar de Manhattan, de la Rose pourpre du Caire ou de Match Point. A l'évidence, Wonder Wheel en fait partie.