2008, Province du Hunan.
Un homme sort de prison.
Un side-car traverse le champ.
Il a des ratés.
La machine mémorielle, elle, s'est mise en marche.
- Le cadavre exsangue d'une jeune fille est retrouvé sur le bas-côté d'une route de campagne : la police est en sous-effectif, elle sait qu'elle fait affaire à un tueur en série, et elle piétine.
Yu est chef de sécurité d'une usine avoisinante. Récompensé par sa hiérarchie, félicité par ses pairs, assisté d'un collègue collant, il joue les détectives parce qu'il sait qu'il a l'œil.
Tout autour de lui le pousse au dévouement ; il ne cesse de se mettre dans les pattes de la police et tente de remonter à son tour la piste de l'assassin. Son enquête tourne à l'obsession, provoque la disparition de tous ses proches ; un fatal excès de zèle le conduit à l'emprisonnement.
Pour Yu, le retour à la vie normale après qu'il a purgé sa peine est impossible puisqu'à sa sortie de prison, il n'y a plus de monde dans lequel se réinsérer. L'usine a disparu, ceux qui lui étaient chers sont morts ; il ne lui reste de tout cela que le souvenir d'une époque que l'on finira même par lui refuser.
Cette longue analepse inscrit la fiction dans un cadre sans jamais répondre pleinement aux interrogations du spectateur.Et comme lorsque l'on se souvient un peu tard d'un rêve, ce sont avant tout des séquences elliptiques, fines et marquantes, des plans travaillés et des courses-poursuites à la temporalité élastique qui flottent devant nos yeux.
La pluie dissimule les identités, brouille les subjectivités, immerge le spectateur sous un déluge d'imperméables gris ; rares sont les individus dont le visage est constamment à découvert, et ceux-ci sont broyés par les marches conjointes du polar et de l'Histoire.
Le quotidien rattrape les personnages : le responsable d'une série de vols dans l'usine doit être démasqué, Yanzi, la petite amie de Yu, aimerait quitter la région et s'installer à Hong-Kong, et bientôt l'intrigue policière paraît insatisfaisante, trouble et secondaire.
Rapidement, les intempéries posent sur l'enquête une patine grise sous laquelle le détective Yu semble perdu. Les véhicules, coincés dans des tombereaux de vase, crachent, font du surplace.
La boue colle aux bottes, les surfaces suintent et les aplats fades donnent à la pellicule la teinte d'un souvenir qui se refuse à nous tandis que l'ambiance musicale, mécanique, minimale et obsédante, participe à notre immersion lente, froide et difficile, et l'on se plaît bientôt à chercher un coupable dans une enquête qui depuis longtemps a perdu sa trame.
Avec Une pluie sans fin, Dong Yue compose, à travers le destin d'un individu brisé par les chimères qu'il poursuivait, l'autopsie minutieuse de secteurs industriels épuisés par la fin du maoïsme et mêle avec brio film noir et critique sociale.
Le film ne surprend pas car il n'a pas vocation à surprendre et l'on anticipe les écueils dans lesquels les personnages, confrontés à l'impossibilité de trouver place dans un contexte qui rejette leur force de travail, leur existence et leurs souvenirs, sont condamnés à plonger et à disparaître par la mort ou par l'oubli.
Les derniers toussottements d'un moteur télescopent pèle-mêle intentions et sensations passées et, tandis que la séquence finale s'achève, la salle nous quitte comme un étrange rêve, et l'on garde pour un moment en mémoire que si la pluie efface les exactions, c'est seulement la neige qui les fera oublier.