"L'amour dure trois ans !" Tel était du moins ce que proclamait, il y a quelque temps, le nouveau verdict à la mode. Mais le deuil ? Pour son premier long-métrage, le réalisateur israélien Asaph Polonsky choisit de relier étroitement le thème du deuil à cette question de la temporalité, en portant son regard vers la fin de la Shiv'ah, cette période de sept jours durant laquelle famille et amis se relaient pour accompagner de leur présence les endeuillés les plus directement touchés. Au terme de cette semaine de deuil, la vie est censée reprendre son cours. C'est à cet instant charnière que s'ouvre le film.
Mais comment faire face ? Comment reprendre un cours qui s'est trouvé interrompu, suivre la trame d'un fil qui s'est trouvé tranché ? Et plus encore lorsque ce sont deux parents qui doivent surmonter la disparition de leur fils. A travers les personnages de Vicky, incarnée par Jenya Dodina, et d'Eyal Spivak, à qui Shai Avivi prête ses traits, le scénariste-réalisateur va suivre les trajectoires dessinées par les deux membres du couple ; trajectoires tantôt violemment et inexplicablement divergentes, tantôt essayant difficilement de converger à nouveau, de tendre vers ce couple parental à présent vide de sens, penché sur un berceau vide, ne cessant de refermer la porte d'une chambre douloureusement vide.
L'une tentera de suivre la règle, de rentrer, fût-ce un peu brusquement, dans son rôle social d'institutrice ; l'autre, absurde pour absurde, s'emploiera à fumer son chagrin dans les pétards roulés avec le haschich thérapeutique dont son fils n'aura désormais plus l'usage. A cette fin, il lui faudra convoquer un jeune voisin, ancien compagnon de jeu de son fils, éloigné dans les derniers temps, suite à une brouille survenue entre les parents. Sous l'œil perplexe de l'épouse, on voit donc ce père retomber en adolescence au contact de ce jeune adulte immature, et avec l'aide des volutes dans lesquelles ils dispersent leur après-midi.
Deux autres espaces côtoient celui de la maison : celui de l'hôpital dans lequel le fils a vécu ses ultimes semaines et celui du cimetière, pourtant longtemps inapprochable. Chacun se voit associé à une sorte de rituel de passage, l'un pour exorciser le mal - très belle scène muette jouant un simulacre d'opération sur le corps d'une mère dont la fillette a bien connu le jeune homme décédé -, l'autre pour s'emparer enfin de sa douleur et de son deuil, à l'image des chatons ayant élu domicile dans le jardin et qui se voient finalement adoptés, et non abandonnés comme cela avait été projeté. C'est ainsi à travers une autre oraison funèbre, celle vouée à l'inconnue qui occupera, au cimetière, l'une des places voisines du fils convoitées par les parents, que le deuil pourra se vivre et s'accepter. Scène bouleversante, où le père consent à se laisser toucher par la gravité de la mort, en écoutant un inconnu chanter les louanges de sa sœur disparue. Comme si le deuil ne pouvait s'envisager frontalement, le risque de destruction ou de consomption étant alors trop fort. Comme si faire un pas de côté était nécessaire, comme si ce contournement s'avérait incontournable, pour accéder au deuil d'un proche et y survivre.
Ce pas de côté magistral, qui se donne ici à voir, et qui permet enfin à un père, dans la complicité avec un autre jeune homme, d'accéder au deuil de son propre fils. Comme si le feu du deuil était si ardent qu'il ne pouvait se vivre qu'à travers une sorte de pontage émotionnel.