Avec Une séparation, le spectateur est placé en position de juge potentiel – l'affaire porte sur la mort accidentelle d'un enfant à naître. Produit dans la capitale iranienne, le film montre les ornières de chacun, sur fond de divorce, de lutte des classes (petite bourgeoisie vs laborieux sans perspectives) et de tensions entre religion et modernités – tous s'obstinent à cause de leurs angoisses ou besoins. Ils se donnent des raisons au lieu d'essayer de comprendre ; cherchent à se sauver, pas à améliorer les rapports, les situations, ou ne serait-ce qu'eux-mêmes (si certaines âmes sont livrées à la guerre civile, celles-ci n'ont pas la paix et les ressources nécessaires pour arbitrer leurs conflits). Tous excusables, sous pression, salis et parfois aussi tous très cons.
Ce film est attentif, au concret et aux mécanismes psychologiques, mais étriqué dans son approche. Il ôte aux individus toute capacité à choisir, se remettre en question, pour mieux réfléchir passivement la réalité (ou alors, le film ne sait pas faire passer sa considération pour la liberté des individus – ou ses auteurs ont décidé que c'était une affaire intraduisible). Ils n'essaient pas d'inclure les autres dans leurs équations ; non, pire, c'est qu'il n'y a pas d'équation ; que des êtres d'instincts et d'émotions, se débrouillant avec les urgences. En théorie la vue est neutre et l'objectivité règne, pour encadrer cette agitation – or on choisit presque systématiquement d'empiler le plus sale événement (comme dans un soap tragique ou une fiction à sensations) sur la plus cynique/basse réaction. Le film est imprégné d'une sorte de faux pessimisme, qui rappelle celui des naturalistes 'scientistes' ou de ces gens croyant en la compréhension globale et à l'amélioration de l'Homme par des méthodes arrêtées et impersonnelles, sans croire qu'un individu soit plus que l'addition ou que le conglomérat de ses influences. Arc-bouté sur le juste, il tient position objectiviste mais en restant dans fuite en avant où n'existe que le 'pire' et la fuite vers un autre ; ne laisse pas de marge, enferme, tout en faisant le bon observateur inclusif et compréhensif.
Au fond, la fille (Razieh) reste la 'grande' coupable (et responsable de ce grabuge). C'est évident ; mais elle subit une situation tragique, qui la pousse à revendiquer et saisir les chances (opportunités de réparation ou de consolation) dans son malheur. C'est une victime dans la vie, donc elle aurait tous les droits, tous les (plus gros) problèmes, etc ; ce caractère combiné aux derniers événements l'amène face au juge où elle se répand en mensonges. Quoi de plus prévisible ? Les ambiguïtés à son sujet me semblent factices ; seule l'ellipse des 'réalités premières' permet de la mettre au même niveau que les autres ou à une position favorable ; mais son attitude est trop spécialement mesquine et pathétique. Toutefois le doute peut fonctionner ; celui d'ordre narratif et 'policier' sur ce cas, celui moral et psychologique sur la valeur des êtres. Il semblerait que ce soit le cas chez de nombreux spectateurs, plus raccords avec les intentions du film et ce que transpirent les personnages – peut-être faut-il un état d'esprit assez rigide ou mécanique pour être raccord avec le film lui-même, voir ce qu'il installe et nous déroule, devenir automatiquement plus sceptique concernant les questionnements et les va-et-vient qu'il cherche à induire (en nous), le temps de ce grand déshabillage avançant dans l’ambiguïté calculée.
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