Il flotte (ah ça, il flotte !) sur ce petit village de bord de mer situé dans le Nord de la France un étrange parfum mélancolique. Des extérieurs martyrisés par une pluie battante et incessante aux intérieurs où se trament de bien sombres histoires, autant dire qu'on n'apercevra pas l'ombre d'un rayon de soleil ni celle d'un instant de bonheur.


Quand Gérard Philipe arrive dans ce patelin maussade, aidés par des cartons soulignant certains éléments précis en introduction et par quelques détails légèrement sur-signifiés, on se doute qu'une anguille traîne sous la roche des apparences et des postures de façade. Même si l'on devine rapidement le sens de certaines suggestions, un bon nombre d'entre elles conserve une part de mystère jusqu'à la fin. Le récit écarte ainsi l'artifice des flashbacks et choisit la voie des réminiscences ponctuelles ancrées dans des détails du décor, de la musique (diégétique), des dialogues et des personnages pour raconter deux histoires de manière simultanée : l'arrivée du protagoniste au présent, et son enfance en ces mêmes lieux au passé. "Une si jolie petite plage" joue ainsi la carte de l'évocation dès le début et s'y tiendra jusqu'à la fin, avec au centre de cette mécanique le personnage du jeune garçon issu de l'assistante publique (comme le protagoniste) que la patronne du bar a embauché (comme le protagoniste) et qu'elle exploite à des fins financières (comme le protagoniste). On le comprend assez vite, la dualité entre les deux personnages reflète à l'écran l'enfance du protagoniste, elle remue le couteau dans une plaie passée et ravive des douleurs jusqu'alors tues.


Il n'y a de place pour l'espoir sur cette plage-mouroir. La grisaille omniprésente, l'exploitation des plus démunis, la souffrance des uns et des autres : toutes les conditions semblent réunies pour reproduire ad vitam æternam ce schéma d'emprisonnement, d'humiliation et de domination. Et Gérard Philipe, avec sa gueule triste et son air de cocker battu, incarne très bien ce sentiment de désarroi, cette résignation ultime, cette détresse absolue, ce regard morne sur un déterminisme cruel. Un rôle à sa mesure, bien plus que celui de benêt un peu ridicule dans "Juliette ou la Clé des songes" de Marcel Carné qu'il tournera deux ans plus tard.


En dressant un tableau aussi noir (et magnifiquement éclairé) à la fin des années 40, une période qu'on imagine pourtant demandeuse d'espoir, on pourrait être tenté d'y voir une sorte de chaînon manquant entre le réalisme poétique du désespoir tel que Carné le dépeignait à la fin des années 30 et une autre forme de réalisme tragique qui occupera une partie de la Nouvelle Vague dès la fin des années 50. Une vue de l'esprit cela dit, sans doute... Jusqu'à preuve du contraire.

Morrinson
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le 12 avr. 2017

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